La légende du trou du Tafunatu et de la Stazzona [Albertacce, Manso (Haute-Corse)]

Publié le 2 juin 2023 Thématiques: Animal , Boeuf , Champs , Croix , Diable , Diable roulé , Légende chrétienne , Montagne , Origine , Origine d'une roche , Origine d'une trace dans la roche , Paysan , Pierre | Roche , Saint Martin , Saint | Sainte , Transformation , Transformation en pierre ,

Bocca à Stazzone
Bocca à Stazzone. Source L'invitu
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Giustiniani J.-A. / Contes et légendes de la Corse (1934) (3 minutes)
Lieu: Bocca a Stazzone / Albertacce / Haute-Corse / France
Lieu: Capu Tafunatu / Manso / Haute-Corse / France

Corinne les Hébreux au temps d'Abraham et de Jacob, les habitants du Niolo, isolés du reste du monde dans leur immense cuvette enserrée de hautes murailles de granit, vivaient heureux. Leur terre leur fournissait largement les céréales, et leurs nombreux troupeaux de chèvres leur procuraient le lait, le fromage et aussi le pannu corsu dont tous, hommes et femmes, s'habillaient. Ne connaissant ni le besoin ni le luxe, ni l'intérêt part conséquent, ils avaient l'âme pure et tranquille et, se conduisaient entre eux fraternellement suivant les préceptes de l'apôtre Paul qui avait autrefois passé une semaine parmi eux et les avait évangélisés. Mais cela ne faisait pas l'affaire de l'esprit du mal qui on le sait, a toujours, depuis Adam et, Eve, été jaloux du bonheur des humains.

Un jour donc, les bons Niolins virent arriver dans leur pays un inconnu de haute taille comme eux, roux de barbe et de cheveux comme eux et, comme eux aussi, habillé de drap corse. Malgré ses yeux fuyants et ses regards ardents, ils lui firent bon accueil, car ses manières et ses paroles doucereuses atténuaient ce qu'il avait d'étrange et, d'antipathique. Et il s'en allait, de village en village, de maison en maison, distillant au coeur des gens la haine et les désirs mauvais, tout en partageant avec eux le laitage et le biscuit de seigle, en attendant, disait-il, qu'il put faire la récolte dans un champ qu'il se proposait d'ensemencer.

Effectivement, un matin, poussant devant lui une paire de bœufs au pelage noir qui traînaient une vieille charrue, il se dirigea vers le plateau de Campotile et, aussitôt arrivé à l'endroit qu'il avait choisi, il commença à labourer. Perché sur un rocher voisin, quelqu'un le regardait faire et souriait malicieusement.

« Hé ! l'ami, dit tout à coup le nouveau venu, ou donc as-tu appris à labourer ? Tu ne sais même pas tracer un sillon droit.
— Viens donc me montrer comment il faut faire, répondit le laboureur sans lever la tête.
— Ce serait bien inutile, messire Satan, puisque tu ne te livres là qu'à un simulacre de travail. Tu n'es ici que pour empoisonner les âmes vertueuses qui habitent ce pays. Mais je te préviens que tu perds ton temps.

Satan leva alors les yeux et reconnut saint Martin de Letia.
— Laisse-moi donc tranquille, Martin », lui dit-il en essayant de cacher sa mauvaise humeur. Et il piqua ses bœufs violemment.

Les bêtes se cabrèrent et tirèrent de toutes leurs forces; mais le soc ayant rencontré un rocher, la charrue se brisa. Satan, furieux, prit le soc et le lança vers saint Martin qui riait de la déconfiture du damné. Mais le soc, devenu, tout à coup un énorme triangle de fer et de feu, s'éleva très haut dans les airs, vers le nord-ouest, puis, rencontrant une montagne verticale, la perça de part en part et alla s'engloutir dans la mer, non loin du golfe de Galeria,

Satan comprit qu'il était vaincu et voulut, fuir. Quand il arriva à la limite du champ, il recula: une petite croix de bois lui barrait le passage. Il prit à droite, à gauche, partout, toujours reculant et toujours changeant de direction, car, partout, autour du Champ, le saint avait, le matin même, planté des croix, et le diable, c'est certain, ne peut souffrir la vue de l'emblème du Christ.

Un seul passage était libre. Satan le trouva enfin et, arriva au bord du lac de Nino dans lequel, en jetant contre le ciel et contre saint Martin un long cri de haine et de vengeance, il plongea pour retourner dans les abîmes infernaux.

Voilà, pourquoi l'on peut voir de plusieurs points du Niolo et, de la Baiagne et, particulièrement, du pont du Laneone. sur la route qui mène de Lacone à Albertacce, une montagne à pic le Monte Tafonato, percée d'un immense tunnel situé à plus de deux mille mètres d'altitude comme une fenêtre ouverte d'un côté sur l'azur de la mer, et de l'autre, sur la verdure sombre des forêts et des pâturages du Niolo.

Deux masses rocheuses, que les gens du pays appellent la Stazzona, se trouvent près du lac de Nino : ce sont les deux bœufs pétrifiés par saint Martin pendant la fuite éperdue de Satan.

Ajoutons que c'est depuis cet événement qu'en Corse chaque laboureur, une fois les semailles terminées, plante au milieu de son champ, pour en éloigner le Malin, une petite croix de bois qu'on appelle le San-Martinu. C'est pour la même raison que l'on place sur les tas de blé, de maïs ou de châtaignes une petite croix de bois et que les gens, passant près des moissonneurs et des vendangeurs, ou même devant, une bête qu'on saigne, s'écrient: « San Martinu ! » A quoi l'on répond aussitôt : « Puisse-t-il venir ! »


Partager cet article sur :