La ville du Pont-Saint-Esprit s'appelait plus anciennement Saint-Saturnin-du-Port. La tradition rapporte qu'un jour, un homme jeune encore, couvert de poussière et portant une croix en guise de bâton, s'arrêta dans une petite bourgade sur la rive droite du Rhône.
Cet homme n'était autre que saint Saturnin allant évangéliser Toulouse.
Après l'avoir convertie à la foi du Christ, il donna son nom à la bourgade qui plus tard devint Saint-Saturnin du Port, parce qu'elle servait de passage, de grande route au nord et au midi de la France, à l'Italie et à l'Espagne.
La traversée du fleuve à Saint-Saturnin était des plus dangereuses, ce n'était chaque jour, que deuils et sinistres, naufrages et perditions.
La mort avait tant moissonné sur les flots du Rhône, que presque toutes les femmes étaient veuves à Saint-Saturnin, toutes les jeunes filles consternées, dans la désolation de la désolation, menacées qu'elles étaient, les pauvrettes! de mourir comme les Vestales de Rome.
Pour obvier à d'aussi grands malheurs, on résolut d'élever un pont entre Saint-Saturnin et la rive opposée : mais quand on se mit à l'œuvre, il parut impossible, au-dessus des résolutions et des forces humaines; la largeur du fleuve, l'impétuosité de son courant à toute volée, étaient des obstacles insurmontables. Hélas! il fallut renoncer à un projet regardé par tous comme le salut du pays.
Or, pendant ce temps-là, une nuit qu'il dormait, un jeune berger simple, naïf, innocent comme ses moutons, entendit une voix secrète qui lui disait :
– « Au nom du Père, du Fils et du Saint Esprit, lève-toi ! Le Saint-Esprit veut que tu construises à Saint-Saturnin un pont, une église et un hôpital! »
Le berger, se réveillant aussitôt, se signa au nom du Père et du Fils, puis faisant ainsi que la voix du Saint-Esprit lui avait dit, il se leva, prit sa houlette et partit.
Le jour même il se mit à l'œuvre. Un très grand nombre d'ouvriers accourant à sa voix, le pont s'avança rapide, magnifique, merveilleusement fait le Rhône s'était fait doux comme un agneau, le mistral plus doux encore, tant que dura cette immense construction; les fleurs des champs et les oiseaux du ciel le prirent pour une brise, cette brise qui se lève le soir lorsque la terre s'endort. Le berger conduisait les travaux avec un zèle, une intelligence, une activité qui n'appartiennent pas aux hommes. Bien souvent, pendant la nuit, on l'aperçut courant à pied sec sur les flots du Rhône pour inspecter les travaux de la veille et préparer ceux du lendemain.
Une langue de feu scintillait devant lui, autour de lui, s'arrêtant quand il s'arrêtait, et planant sur ses pas comme autrefois l'étoile de Bethleem sur le front des rois et des bergers. Or, ce berger ingénieur était, dit-on, un de ceux qui présentèrent des fruits et des fleurs au petit enfant Jésus, plus peut-être.................. le Saint-Esprit lui-même.