Mondon, la patrie du grand inquisiteur Pierre Symard, est un joli village qui s'étale au penchant d'un coteau, d'où l'œil découvre un horizon immense du côté de Montbozon et de la Haute-Saône. C'est un pays auquel se rattache un grand nombre de facéties populaires. On dit proverbialement : « Les fous de Mondon » comme on dit : « les ânes de Champlitte. » (Haute-Saône). On ferait un volume des sottises et des naïvetés que l'on prête gratuitement à ces deux pays, où les gens, d'aujourd'hui du moins, ne sont pas plus sots et pas plus naïfs qu'ailleurs.
Parmi vingt récits du même genre, nous ne donnons ici que le suivant :
Dans le bon vieux temps, les gens de Mondon avaient la pieuse coutume d'offrir chaque année un tonneau de vin à leur curé, pour dire la messe. Comme ils sont tous vignerons, chacun venait, pour ce faire, verser une bouteille de vin nouveau dans le fût du pasteur et ils le remplissaient ainsi sans s'appauvrir.
Une fois, le diable, qui est toujours en campagne, dit à l'oreille de l'un : « Que tu es simple de perdre ainsi une bouteille de bon vin! Garde-la pour toi, et afin de ne pas te rendre infidèle à un vieil usage, va-t-en verser dans le tonneau du curé une bouteille d'eau claire. Une bouteille d'eau dans un tonneau de vin, cela n'y paraîtra pas. »
Celui-ci écouta le conseil du diable et le suivit. Mais comme le diable, avant de quitter Mondon, avait donné le même avis à tous les vignerons de l'endroit, et que tous s'y étaient conformés, convaincus chacun qu'une bouteille d'eau dans un tonneau de vin n'y paraîtrait pas, il arriva que quand le pasteur voulut mettre en perce la futaille, il s'aperçut, aver plus d'étonnement que de satisfaction, qu'elle ne contenait absolument que de l'eau. Il appelle aussitôt Benoîte, sa gouvernante, qui n'avait pas la vertu de changer l'eau en vin, mais qui aurait bien pu avoir celle de changer le vin en eau. Benoîte proteste de son innocence et supplie M. le curé de vouloir bien consulter le bon Dieu à cet égard.
Alors le pieux pasteur dit à sa gouvernante : « Je vous accuse, Benoîte, parce que je ne puis d'abord accuser que vous; mais je ne vous condamne pas encore. Je vais faire neuvaine à saint Vincent, qui, j'en suis sûr, me dévoilera le coupable. »
Neuf jours après, la rumeur publique faisait savoir à tous la faute commise par les paroissiens et le châtiment du ciel qui venait de les frapper : tout leur vin nouveau s'était troublé pendant une nuit d'orage. Voilà ce que c'est d'avoir trompé M. le curé.
Le dimanche suivant, à la messe, chacun devinait bien quel devait être le sujet du prône pastoral. Mais combien tous les coupables furent touchés de repentir et animés du ferme propos, quand ils ouïrent la parole de leur bon pasteur qui leur dit :
« Mes pauvres enfants, j'ai appris avec une peine extrême le malheur qui vous est arrivé. Je ne veux pas en rechercher les causes. La voix de vos consciences sera plus éloquente que la parole de ma bouche, et je ne viens point, par des reproches amers, combler la mesure de vos maux.
« Je viens au contraire vous tendre la main dans votre détresse et vous rendre le bien pour le mal. Tous ceux qui ont eu leur vin nouveau troublé, le verront redevenir clair dans vingt-quatre heures, en introduisant par la bonde de chaque tonneau une bouteille d'eau bénite qui leur sera remise aujourd'hui même, à la cure, en échange d'une bouteille de bon vin vieux destiné au service de l'autel. »
Grâce à ce moyen, qui réussit à merveille et qui lui fut suggéré sans doute par l'intercession de saint Vincent, le curé de Mondon sauva de la désuétude un excellent usage dont il existe encore des vestiges dans quelques-uns de nos vignobles, malgré les plaies du phylloxéra et du mildiou. Le curé n'y perdit rien cette année là; car à la place d'un vin nouveau médiocre, qu'il aurait eu sans la malice diabolique de ses paroissiens, il se vit doté d'un gros tonneau d'excellent vin vieux.
C'est aussi depuis ce temps-là, dit-on, que pour éclaircir le vin troublé on emploie une bouteille d'eau en guise de colle ou de blancs d'œufs.
On met sur le compte des habitants de Champlitte une historiette quelque peu semblable à celle-ci; mais on ajoute que le curé de Champlitte, qui n'avait pas, comme celui de Mondon, fait neuvaine à Saint Vincent, ne put pas, comme lui, récupérer avantageusement ce que le diable lui avait pris.