A l'ouest du golfe de Carri, sur le littoral de la Provence, à peu de distance de Marseille, se trouve une baie profonde et anfractueuse, véritable fiord semblable à ceux des côtes de Norvège, et portant le nom de Port-Miou, portus melius, qui a été de tout temps considéré comme une excellent point de refuge par les marins de la côte celto-lygienne.
La forme de cette baie de Port-Miou est très remarquable; les falaises de son goulet sont, en effet, si abruptes, et sont disposées de telle sorte que, lorsqu'on vient de la mer pour s'abriter dans la calanque, il semble qu'on va se briser au pied de rocs inaccessibles et battus aux mauvais jours par des lames furieuses.
L'esprit poétique et amoureux du merveilleux des Provençaux ne pouvait rester indifférent en présence de ce phénomène curieux de la nature; un récit populaire à sensation devait venir enjoliver l'histoire de ce site curieux, pour bien en graver le souvenir dans l'imagination de ceux qui le voient pour la première fois.
Ce conte dit qu'un jour de grand mauvais temps, une frêle barque de pêcheurs montée, dans laquelle le père était le patron et le jeune fils l'unique matelot, fut obligée de venir chercher un abri sur ce point du littoral. Rester à la mer était la perspective d'une mort certaine ; force était donc bien de venir à tout prix se réfugier dans une calanque de la côte.
La barque, poussée par un vent furieux, volait sur les lames écumantes et approchait avec une rapidité vertigineuse de la côte. Le père était à la cargue, tout prêt à étrangler la voile pour modérer l'abordage à la plage, quand il serait temps; le fils tenait le gouvernail.
Tout-à-coup, le père voit avec terreur des rochers qui semblent opposer à la barque une barrière infranchissable. Saisi de terreur, il crie à son fils de loffer pour essayer de revenir en pleine mer, croyant que la côte est inhospitalière et que, si la barque ne s'en éloigne pas, le naufrage est inévitable.
Mais le fils, qui a deviné qu'il y a un passage et qu'il est possible d'aller abriter l'esquif dans la calanque, n'obéit pas à l'ordre donné; au contraire, il met la barre du gouvernail du côté opposé.
Le père, furieux autant que terrifié par le danger qu'il croit courir, se précipite sur le pauvre mousse, et d'un coup de barre, l'étend raide mort à ses pieds, au moment même où la barque avait franchi heureusement la passe difficile et entrait dans la baie calme autant qu'hospitalière de Port-Miou.
On comprend, sans que j'aie besoin d'insister longuement sur les détails de ce drame, tout ce qu'il y a de saisissant dans la légende, et l'imagination ne peut qu'en être généralement frappée. Mais lorsqu'on se demande ce qu'il peut y avoir de vrai dans cette affaire, on ne tarde pas à reconnaître que, cette fois comme bien souvent, on se trouve en présence d'une légende de l'antiquité qui s'est perpétuée jusqu'à nous.
La preuve que j'en puis donner, c'est d'abord que les Romains la connaissaient, car, au commencement de notre ère, Valère Maxime l'a mise dans son livre où se trouvent, on le sait, tant d'anecdotes et d'histoires invraisemblables.
Les Romains attribuaient l'aventure à Annibal au lieu de la mettre sur le compte d'un pécheur anonyme; ils lui donnèrent pour cadre la côte de Sicile au lieu du littoral de la Provence : voilà les seules différences à peu près.