Aux temps où les trois hêtres gigantesques balançaient au gré des vents leur couronne de verdure, il existait dans le bois sacré une source qui servait à laver les animaux que le paganisme offrait en sacrifice au dieu de la guerre. Pour s'assurer les eaux de la source, on les capta en un puits qui conserva cette destination.
Plus tard, quand le christianisme se répandit en Alsace, c'est l'eau de ce puits qui servit à baptiser les adeptes de la religion nouvelle.
A en croire la tradition, c'est là que saint Remi donna le baptême à Clovis, et quand le roi des Francs eut édifié sur l'emplacement du culte païen. une première église chrétienne, le puits fut compris dans son enceinte.
Ses eaux servaient à baptiser les nouveau-nés, et elles étaient employées à cet usage non seulement dans la ville, mais on venait des campagnes environnantes puiser au puits de la cathédrale l'eau des baptêmes. De là lui vint le nom « de Puits des enfants » (Kindelsbrunnen), et aujourd'hui encore on fait croire aux bébés que c'est de ce puits qu'ils ont été tirés à leur naissance.
La légende du puits sacré se rattache à celle d'un lac souterrain, couvert d'une voûte immense qui supporte le poids de l'église et de son dôme. Ce lac est plongé dans une nuit éternelle et ses eaux s'étendent jusqu'à l'endroit où (non loin de la place Gutenberg) existait le petit monument appelé le « Puits des poissonniers » (Fischbrunnen).
A minuit, quand le silence s'est fait dans les rues, le passant attardé peut entendre le bruit des flots se brisant contre les piliers de la voûte souterraine.
Il distingue le clapotement produit par les rames de la barque qui sillonne le lac, conduite par les âmes des trépassés. Il perçoit distinctement la respiration puissante et le mouvement, à travers les eaux, des monstres qui habitent les profondeurs insondables.
Selon la tradition, l'entrée du lac souterrain se trouvait dans les caves d'une maison située en face de la cathédrale, maison qui existe encore et qui depuis des siècles est occupée par une pharmacie à l'enseigne du Cerf. Il y avait là, dans un coin noir, une porte bardée de fer. Plus d'une fois, on l'avait ouverte pour pénétrer sous la voûte et explorer le lac, mais chaque fois un tourbillon de vent sortait de l'orifice béant et éteignait les lumières de ceux qui voulaient s'aventurer dans le gouffre mystérieux. Et quand on essayait de sonder, avec des perches la profondeur de l'excavation, il apparaissait à l'ouverture des serpents, des crapauds, des salamandres énormes, et tout un fourmillement de bêtes indescriptibles. Pour éviter des malheurs, l'ouverture fut murée et couverte de décombres, et aujourd'hui l'on ne sait plus où fut l'entrée de la caverne infernale.