Alfarabbi avait appris la musique en Espagne dans les célèbres écoles qu'avaient fondées les Califes de Cordoue. La renommée de ce célèbre musicien avait traversé les terres et les mers et s'était étendue jusqu'en Asie.
Le sultan Fekhr Ed-Doula, désireux de l'entendre, lui envoya plusieurs fois des messagers porteurs de riches présents et chargés de l'engager à venir à sa cour. Alfarabbi, craignant qu'on ne le retînt de force, avait longtemps résisté à ces offres. Vaincu par l'insistance du sultan, il partit enfin, mais incognito.
Il arriva au palais de Fekhr Ed-Doula dans un costume si misérable qu'on lui eût refusé l'entrée s'il n'eût dit qu'il était un musicien étranger désireux de se faire entendre devant le sultan. C'était juste le moment où Fekhr Ed-Doula assistait à ses concerts journaliers. Il demanda au nouvel arrivant de chanter.
Il eut à peine commencé que chacun des assistants se mit à rire malgré la présence du sultan qui lui-même ne pouvait se retenir. Alfarabbi changea de mode et l'effet fut tel que les soupirs, les pleurs et les gémissements remplacèrent le fou rire de tout à l'heure. Changeant une troisième fois de mélodie et de rythme, il amena dans ses auditeurs une fureur telle qu'ils l'auraient tué, si un nouveau changement ne les eût arrêtés et jetés dans un sommeil si profond, qu'Alfarabbi eut le temps de sortir du palais et de la ville sans être inquiété.
(Légende des Arabes de l'Algérie recueillie par M. Salvador Daniel et insérée dans le n° 36 Nov. 1862. de la Revue Africaine.)