Parmi les curiosités de Strasbourg, il est juste de mentionner l'église Saint-Thomas. Les étrangers y vont admirer le fameux mausolée du maréchal Maurice de Saxe, mais le sacristain ne manque jamais de les inviter à descendre dans les caveaux. Là, il leur fait voir un cercueil à vitrage dans lequel repose le corps embaumé d'une jeune fille. Elle est revêtue de la robe blanche de mariée, couverte de bijoux et la tête entourée de fleurs d'oranger. Quoique très bien conservé, cela est hideux. Le corps est d'une maigreur effrayante, les yeux enfoncés dans leurs orbites, la bouche grimaçant un sourire affreux, le nez paraissant d'autant plus long que les joues sont plus creuses. Le spectacle n'est pas réjouissant et les curieux se hâtent de sortir du caveau, laissant le sacristain recommencer, pour la millième fois, l'histoire d'une jeune et charmante comtesse de Nassau, morte au moment de s'unir à un noble chevalier alsacien.
Une vieille légende veut que la momie de l'église Saint-Thomas revienne parmi les vivants, en hiver, à l'époque des bals. Tous les ans on la retrouve parmi les danseuses, et d'ordinaire c'était au bal donné au profit des pauvres qu'on la voyait apparaitre. Oui, la jeune comtesse, la fiancée morte il y a trois siècles, on l'apercevait au bras d'un cavalier, valsant avec un entrain endiablé. C'était bien elle même robe blanche, mêmes fleurs, mêmes colliers. C'était sa maigreur de squelette, sa bouche grimaçante, ses yeux caves, son nez proéminent... Échappée de son cercueil de verre, elle tournait, elle tourbillonnait et lançait au passage son sourire horrible!
L'on prétend que depuis l'annexion de l'Alsace à l'Allemagne, les bals publics et privés sont pleins de comtesses de Nassau. Cela ne m'étonne pas, car la momie doit prendre plaisir à se retrouver parmi ses compatriotes. Quant à moi, je n'en sais rien, car je n'y ai pas été voir!