Le comte d'Angeweiller, marié avec la comtesse de Kinspein, allait habituellement à la chasse. Quand il revenait tard, ou qu'il voulait partir de grand matin sans réveiller sa femme, il couchait dans une petite chambre au-dessus de la porte d'entrée de son château. On avait mis là pour lui une couchette de bois, bien travaillée selon le temps.
Or, un lundi, en montant à sa chambre, sur le portail, il y trouva une fée endormie. Il ne la troubla point; et durant quinze ans elle revint là tous les lundis, jusqu'à un certain jour que la comtesse, étant entrée dans cette chambre, y vit le couvre-chef de la fée et le dérangea. La fée, se voyant découverte, dit au comte qu'elle ne reviendrait plus, et elle lui donna un gobelet, une cuiller et une bague, lui recommandant de partager ces trois dons à trois filles qu'il avait.
Ces gages, dit-elle, porteront le bonheur dans les maisons où ils entreront tant qu'on les y gardera; et tout malheur arrivera à qui dérobera un de ces objets précieux.
Après ces mots, la fée s'en alla, et le comte d'Angeweiller ne la revit jamais plus. Il maria ses trois filles avec trois seigneurs des maisons de Croy, de Salm et de Bassompierre, et leur donna à chacune une terre et un gage de la fée. Croy eut le gobelet et la terre d'Angeweiller, Salm eut la bague et la terre de Fenestrange, et Bassompierre eut la cuiller et la terre d'Answeiller. Trois abbayes étaient dépositaires de ces gages quand les enfants étaient mineurs : Nivelles pour Croy, Remenecour pour Salm, Épinal pour Bassompierre; et en effet ces trois maisons prospérèrent longtemps.
Quant à l'autre prédiction de la fée, relativement au vol de ces objets, on en reconnut la vérité dans la maison de M. de Pange, seigneur lorrain, qui déroba au prince de Salm la bague qu'il avait au doigt, un jour qu'il le trouva assoupi pour avoir trop bu. Ce M. de Pange avait quarante mille écus de revenu, il avait de belles terres, il était surintendant des finances du duc de Lorraine. Cependant à son retour d'Espagne, où il ne réussit à rien, quoiqu'il y eût fait pendant longtemps bien de la dépense (il était ambassadeur chargé d'obtenir une fille du roi Philippe II pour son maître), il trouva tout son bien dissipé; il mourut de regret, et ses trois filles, qu'il avait mariées, furent abandonnées de leurs maris.
On ne saurait dire de quelle matière sont ces dons de la fée. Ils sont grossiers.
On raconte que Diane de Dampmartin, marquise d'Havré, de la maison de Croy, ayant laissé tomber le gobelet en le montrant, il se cassa en plusieurs pièces. Elle les ramassa, les remit dans l'étui, en disant :
– Si je ne puis l'avoir entier, je l'aurai au moins par morceaux. Et le lendemain, en ouvrant l'étui, elle trouva le gobelet aussi entier que devant...