La légende d'Ali-Sïaf, le bourreau habile d'Alger [Casbah (Bab El Oued / Algeria)]

Publié le 17 septembre 2024 Thématiques: Bourreau , Condamnation , Décapitation , Décapité , Exécution , Humour , Mort ,

Bourreau à Alger
Bourreau à Alger. Source Midjourney
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Source: Certeux A. / Contributions au folk-lore des Arabes: l'Algérie traditionnelle, légendes ... (1884) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Un bassin près de la Casbah d'Alger / Casbah / Bab El Oued / Algeria

Certain Dey d'Alger, les indigènes ne savent plus trop lequel, rendait un matin la justice à son habitude. On amena devant lui l'un de ses serviteurs accusé d'avoir soustrait quelques douros dans le trésor du souverain. Le Dey, suivant sa louable coutume, condamna cet homme à avoir la tête tranchée.

Si la justice était sommaire, l'exécution ne l'était pas moins. Séance tenante, le condamné était appréhendé au col par un chaouch et conduit à la Casbah. Là, auprès d'un bassin qu'on y voit encore de nos jours, le malheureux s'agenouillait, inclinait la tête, et... fsss! boum ! la tête se trouvait tranchée et retombait dans le bassin.

Bien souvent il arrivait que le bourreau n'était pas aussi adroit que nous venons de le montrer; la tête n'était pas séparée du premier coup et l'exécuteur devait s'y reprendre à plusieurs fois pour mener à bien la décollation. Aussi notre pauvre diable tremblait-il de tous ses membres en se rendant au funeste endroit.

« Mon vieux camarade, Ali, toi qui fus toujours mon ami, voudrais-tu me rendre un service?
– Lequel? Parle.
– Je crains que tu ne m'abattes la tête d'un seul coup; jure-moi sur le Coran de me décapiter sans que je m'en aperçoive et je te confierai un secret important.
– Je te le jure, ami.
– Eh bien! mon argent est caché en tel endroit; je te donne toute ma fortune. Mais... n'oublie pas !
– Ne crains rien, je serai si adroit, que tu ne t'apercevras de rien, foi d'Ali-Sïaf »

On arriva auprès du bassin; le condamné s'agenouilla. Mais au lieu de lui faire incliner la tête, Ali-Sïaf lui dit :
« Ami, tiens la tête bien droite pendant que je vais m'exercer le bras! »

Et il se mit à faire des moulinets dans l'air avec son yatagan, si vite et si vite que ce n'était qu'une suite d'éclairs qui passaient devant les yeux. Quelques secondes s'étaient à peine écoulées qu'Ali s'arrêtait et déposait à terre sa fine lame de Damas.

« Chien ! lui crie le patient. Tu n'es pas sûr de toi et tu me laisses dans une attente pénible. Tu vas me découper sans doute comme un mouton et tu profiteras de ma fortune! »

Et en même temps, il veut se relever et cracher au visage d'Ali le bourreau. Mais celui-ci qui a deviné son intention, lui riposte aussitôt:
« Crache ta langue ! »

Et la tête du supplicié, dérangée de son équilibre, tombe avec un bruit sourd dans le bassin.

Le bourreau avait agi si vivement et déployé une habileté si grande, que la tête était restée en place sur les épaules et que pas une goutte de sang n'avait coulé ; le condamné lui-même n'avait rien senti.

« C'était un bourreau bono-bezeff! s'empressa d'ajouter le chef indigène qui nous racontait cette légende, moitié par gestes, moitié en langage sabir.

– Supérieur à Rase-noeud (célèbre bourreau d'Alger), bien qu'il soit très habile. »

Le chef arabe fit un geste d'assentiment et continua. A quelque temps de là, Ali-Sïaf devait procéder à une exécution publique en présence du cadi. Voulant donner à celui-ci la preuve de son prodigieux talent, Ali-Sïaf ordonna au condamné de rester debout, immobile, la tête bien droite. Puis, prenant son glaive, il se mit à le faire tournoyer rapidement autour de la tête du malheureux.

« Finiras-tu ? s'écrie le cadi furieux, en voyant que le bourreau venait de s'arrêter et avait déposé tranquillement à terre son épée.
– Oui, finiras-tu? dit à son tour le condamné. »

Alors, Ali-Sïaf, tout souriant, tire sa tabatière de sa poche, l'ouvre sans se presser, prend une prise de fin tabac maure entre deux doigts, et la met sous le nez du supplicié. Celui-ci éternue et par ce seul mouvement la tête pirouette et va rouler aux pieds du cadi.


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