Il y a de cela longtemps, bien longtemps, un seigneur, — la légende ne dit pas son nom — voulut faire bâtir un château-fort sur les rochers qui surplombent les eaux si limpides de la Semoy et donnent à la vallée cet aspect pittoresque, sauvage, que ne se lasse jamais d'admirer le touriste. Comme son voisin, le suzerain du château de Linchamps dont on aperçoit encore les ruines imposantes au-dessus du village de Nohan, il prétendait, sans doute, commander le passage de la rivière et prélever un droit sur les bateliers.
Mais, comment faire élever ce château? Il n'était pas riche, ce seigneur, et bâtir sur le flanc, ou même sur la crête de ces rocs abrupts, semblait chose presque surhumaine. Il eut donc recours à Satan (c'était assez l'usage il y a longtemps) qui, bon diable, promit au seigneur, en échange de son âme, de lui élever dans l'espace d'une seule nuit et avant le premier chant du coq le plus beau château qu'il y eût au monde. Donc marché conclu et Satan, le soir même, se mit à l'oeuvre. Aussi bien n'y avait-il pas une minute à perdre et le château grandissait à vue d'oeil tant les lutins, les diablotins et les diables étaient actifs à maçonner, à charpenter, à menuiser. Mais, ils menaient si grand tapage, qu'un coq réveillé dans son sommeil, juste au moment où allait être posée la dernière pierre et croyant le jour venu à cause des feux follets qui éclairaient ce travail nocturne, poussa un cocorico retentissant.
— Ah! le Malavisé ! s'écria Satan, écumant de rage. Et d'un seul coup de sa puissante patte fourchue, il démolit le château dont toutes les murailles, s'effondrant, dégringolèrent avec un bruit terrible dans la Semoy. De ce château il ne reste plus trace aujourd'hui, mais, au pied même du roc, la Semoy vient se briser contre de grosses pierres, à fleur d'eau, qui la barrent dans son passage et font un remous saisissant.