La légende de la fête de la Sainte-Anne de Rethel [Rethel (Ardennes)]

Publié le 18 janvier 2023 Thématiques: Amour , Couturière , Fête , Origine d'une fête , Sainte Anne , Saint Nicolas , Tourneur ,

Fête Sainte-Anne
François GOGLINS, CC BY-SA 4.0 , via Wikimedia Commons
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Source: Meyrac Albert / Traditions, légendes et contes des Ardennes (1890) (4 minutes)
Lieu: Promenade des Isles / Rethel / Ardennes / France

Un beau matin de l'an 1777, tout Rethel fut réveillé par un régiment — peut- être un régiment de Champagne — qui entrait dans la ville musique en tète et, dominant les roulements des tambours et les sonneries des clairons, les notes suraigues des fifres. Or, ils furent d'autant plus  particulièrement applaudis et choyés, ces joueurs de fifres, que, parmi eux, se trouvait un Rethélois. Etant ainsi revenu dans Rethel, il n'en voulut plus partir. Il donna donc sa démission de fifre et vécut, par la suite, au milieu de toute sa famille, au milieu de tous ses amis. 

Mais — cela ne vous surprendra mie — notre jeune gars, en galant Ardennais qu'il était, tomba vite amoureux d'une fort gentille fille, nommée Marguerite Coutier et qu'avaient, jusqu'alors, recherchée bien des galants. Il l'aima, sut s'en faire aimer, aussi le champ lui fut-il laissé libre. Il la demanda donc au père et à la mère Goutier : et comme Railly était un garçon pas manchot, gai compagnon, avenant de sa personne, habile tourneur sur bois en même temps qu'il raclait pas trop désagréablement le violon, on lui donna, sans hésiter, la jolie Marguerite sans laquelle, d'ailleurs, il avait déclaré ne pouvoir plus vivre. Or, personne ne voulait sa mort : aussi bien c'eût été dommage de laisser mourir, pour les beaux yeux d'une belle ne demandant qu'à se rendre, un aussi joyeux luron.

Donc, ils se marièrent. Le mari tourna le bois et gagna de l'argent. La femme s'établit modiste. Etant aussi accorte qu'adroite, les commandes affluèrent si fort dans sa boutique qu'elle dut prendre deux, puis trois, puis six, puis dix et même douze ouvrières. Alors le bonheur et presque la fortune entrèrent dans la maison. 

Vous savez, sans doute, que les couturières et les modistes ont pour patronne la bienheureuse sainte Anne qui fut épouse de saint Joachim et mère de la Sainte Vierge, une illustre patronne, comme vous voyez. Or, il arriva que le jour marqué sur le calendrier pour célébrer la fête de cette glorieuse grand-mère de Jésus-Christ, fit irruption, en fraîches toilettes, dans la boutique de Mme Bailly, une bande de jeunes filles toutes pimpantes, toutes souriantes, portant des corbeilles de fleurs; et l'une d'elles, s'avancant, débita à la maîtresse de céans, après les trois révérences d'usage, ce petit compliment que leur avait rimé un rimailleur du crû, mieux intentionné que poétiquement inspiré :

Permettez qu'en ce beau jour Nous vous souhaitions la fête, Car nous sommes toujours prêtes A vous témoigner notre amour.

Bailly pleura d'attendrissement, jurant que, de sa vie, il n'avait ouï poésie aussi délicate, et Mme Bailly, plus maîtresse d'elle-même, mais non sans une petite pointe d'émotion qu'elle s'efforçait de cacher dans un sourire, répondit à ce madrigal par ces quelques mots de prose qui, pour n'avoir pas été longuement ruminés, n'en eurent pas moins un succès bruyant : et vous l'allez comprendre.

— Mesdemoiselles, dit-elle, vous êtes de braves ouvrières que j'aime bien et que je veux toujours savoir joyeuses. Quand on est heureux, on a bon coeur, mais si vous avez de l'affection pour votre patronne, qui vous le rends bien, je vous l'assure, vous aimez aussi, j'imagine, la galette aux cerises; aussi, en l'honneur de Sainte-Anne, donnons-nous campo et allons tertous ensemble jusqu'à Pargny. J'y connais certaine laitière et, surtout, certain pâtissier!... — Bravo ! bravo! Madame Bailly, interrompit Bailly, et moi J'apporterai mon violon Pour vous l'aire danser en rond, car l'émotion, paraît-il, l'avait rendu poète.

Si bien que, bras dessus bras dessous, tout l'atelier de Mme Bailly, renforcé de pas mal de galants qu'avaient pipés ces demoiselles, dévalent, comme une envolée d'étourneaux, par le faubourg de Chef. Mais voilà que, passant devant une guinguette, ils entendent des chants, des rires, voire même des airs de danse.

— Qu'est-ce à dire, s'écria Bailly interloqué, on se permet donc de danser et déjouer du violon sans moi !... Mais, j'y suis! la bienheureuse sainte Anne, belle-mère de saint Joseph, est aussi la patronne des menuisiers et la mienne, alors, puisque je suis tourneur sur bois. Entrons d'abord, nous verrons ensuite, si nous sommes de trop !

Et les voilà envahissant la guinguette où ils sont reçus bras ouverts avec de grands cris joyeux. Sans barguigner, ils entrent en danse et, finalement, il est convenu que menuisiers et couturières, et aussi tous les gens de la fête, iront à Pargny manger les fameuses galettes aux cerises.

Oncques à Pargny on ne vit réunion si nombreuse et si gaie. Or, la fête dura deux jours, car, le lendemain, en gens qui savent vivre, les menuisiers rendaient la politesse aux modistes, les invitant à manger une nouvelle fournée de galettes. Puis, comme il n'y a pas de bonne fête, sinon sans lendemain du moins sans anniversaire, elle recommença l'année suivante et l'autre année qui suivit cl les autres années encore. Mais ajoutez que tous les corps de métiers s'étant mis de la partie, personne ne voulut plus faire la fête à Relhel que le jour de la Sainte-Anne.

D'abord saint Nicolas, le patron officiel de la ville, bouda, puis protesta un brin et enfin protesta même bien fort, paraît-il. Mais les Retliélois  amoureux n'en tenant compte et préférant se mettre sous la protection d'une femme, en appelèrent de ces bouderies maussades, de ces protestations malencontreuses, à Napoléon lui-même à Posen et montrant aux Prussiens ce que valaient ses grognards. Les Retliélois méritaient bien, sans doute, qu'il s'occupât d'eux alors pourtant qu'il avait, certainement, d'autres chats à fouetter ; aussi, toute affaire cessante, déclara-t-il, par décret s'il vous plaît, « qu'à l'avenir Rethel célébrerait sa fête les lundi et mardi qui suivent ou dans lesquels tombe la Sainte-Anne. »

Que pouvait, hélas ! un pauvre petit saint contre une sainte qu'invoquaient garçons et filles, et surtout contre un grand guerrier en train de conquérir l'Europe ? Et voilà pourquoi saint Nicolas ne fait plus danser les amoureux à Rethel, bien qu'il soit toujours le patron, un peu honoraire ce semble, de la ville, puisqu'il figure encore sur la bannière municipale avec trois enfants dans une cuve.


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