En pleine colline des Argonnes, au pied d'un monticule dominant la route de la Croix-aux-Bois à Vouziers, dorment, dans un petit lac qu'abritent des saules ombreux, des eaux calmes et limpides. C'est le Gué Charlemagne, et voici d'où lui vient ce nom.
Il faut vous dire qu'en 803, les filles du grand empereur, suivies de leurs hommes d'armes, allant voir leur père alors en son palais d'Attigny, traversèrent le pays des Ardennes, et parmi elles, Egilde, la plus belle d'entre ses sœurs. C'était merveille que de la voir chevauchant sur sa haquenée blanche, à côté de son page qui toujours veillait sur elle.
Or, un jour qu'ils s'étaient égarés dans la forêt, n'ayant pas voulu suivre leurs compagnons de voyage, Egilde, épuisée de fatigue, s'arrêta aux bords de ce lac, dont les eaux si fraiches, si pures, semblaient la convier à se baigner. Elle se dépouille de ses vêtements, n'ayant conservé autour de sa taille que son écharpe de soie éclatante, met dans l'eau son pied plus poli que le marbre, plus blanc que l'albâtre. Mais voilà qu'un frisson la saisit, elle veut reculer, elle glisse et tombe au fond du lac dont les eaux, un instant entr'ouvertes, se referment sur leur proie.
Le beau page l'a vue. Éperdu, il sonne du cor et se jette dans le lac. Une main blanche a paru à la surface, il la saisit ! Egilde est sauvée !
Au son du cor, est seul arrivé un vieux bûcheron. Ils couchent sur un lit de mousse la fille de Charlemagne toujours évanouie ; ils tentent de la rappeler à la vie. Egilde ouvre enfin les yeux.
— Gontran ! Gontran ! mon beau page, murmura-t-elle. Gontran ! tu m'as sauvée, merci ! Mon beau page, je t'aimais. Ne m'aurais-tu pas prise pour femme si j'avais pu vivre ?
Et le beau page qui pleurait ne put répondre, tant sa douleur était grande de voir mourir Egilde, qu'au plus profond de son cœur lui aussi aimait, sans jamais avoir osé dire son amour.
— Oh ! Gontran ! Gontran ! mon beau page, murmura encore Egilde, si je meurs, mourras-tu avec moi?
Et ce furent les dernières paroles de la fille de Charlemagne. La prenant alors dans ses bras, l'embrassant longuement, amoureusement, Gontran dit un dernier adieu au bûcheron et descendit avec sa fiancée dans le lac. C'est ainsi qu'ils furent unis dans la mort !