Pauvre Pouzin! comme La Voulte, ta superbe voisine, tu es tombé dans le silence et la solitude de l'oubli ; comme à La Voulte l'entrepôt du marchand a remplacé la caserne du soldat, le pied de tes fils foule en passant tes nobles ruines sans s'inquiéter si là se trouvent aussi de nobles souvenirs. Pauvre Pouzin!
Le Pouzin a beaucoup souffert des guerres de religion. Prise et reprise successivement par les protestants et les catholiques, cette ville a subi souvent les horreurs de la guerre, souvent elle a vu ses maisons réduites en cendre, ses habitants massacrés, ses remparts renversés.
Le duc de Montmorency l'assiégea en 1628 et ne put s'en rendre maître que par capitulation, après huit jours d'une vigoureuse résistance.
C'est sous les murs du Pouzin qu'il lui arriva cette aventure singulière que le chroniqueur Ducros raconte ainsi :
« Environ le temps de la mort du marquis Desportes, tué par un coup d'arquebuse, le duc de Montmorency, dormant dans sa tente, fut réveillé par une voix semblable à celle du marquis, qui lui disait tristement adieu.
L'amour qu'il avait pour une personne qui lui était si proche, lui fit attribuer l'illusion de a ce songe à la force de son imagination.
Le travail de la nuit qu'il avait passée, selon son habitude, dans les tranchées, fut cause qu'il se rendormit aussitôt sans aucune crainte. Mais la même et triste voix qui avait interrompu son premier sommeil le troubla de nouveau:
Et le fantôme qu'il n'avait vu qu'en dormant a le contraignit de s'éveiller et d'ouïr distinctement les mêmes mots qu'il avait prononcés et qu'il répéta avant de disparaître.
Alors il se ressouvint qu'un jour qu'ils entendaient discourir le philosophe Pitart, sur la séparation de l'âme avec le corps, ils s'étaient promis de se dire adieu l'un à l'autre, si le premier qui viendrait à mourir en avait la permission.
Ne pouvant s'empêcher de craindre la vérité de cet avertissement, il envoya promptement un de ses domestiques au quartier du marquis qui était assez éloigné du sien.
Avant que son homme fût de retour, on vint le quérir de la part du roi qui lui fit dire, par des personnes propres à le consoler, l'infortune qu'il avait appréhendée. Hélas! ce n'était que trop vrai, le marquis était mort.
La dernière mousquetade qui fut tirée en ce siége et dans le Vivarais, donna aussi la fin des heures, des paroles et des moments de ce rare homme. Car lui ayant donné dans la tête parmi dix ou douze des siens, il ne respira plus.
Je laisse à discuter aux doctes sur la raison de cet événement que j'ai plusieurs fois ouï réciter au duc de Montmorency, et dont j'ai cru que la merveille et la vérité étaient également dignes de mon histoire.