Un couvent de Templiers se trouvait autrefois établi près de Beaucourt. Les Templiers étaient de mauvais moines, occupés de tous les plaisirs et songeant plus souvent au diable qu'au bon Dieu. Un seul d'entre eux, nommé le frère Jean, faisait exception entre tous et se faisait remarquer par sa profonde piété, son amour pour les pauvres et le peu d'intérêt qu'il prenait aux plaisirs de ce monde.
Aussi le Seigneur voulut-il le récompenser en lui épargnant la mort cruelle que les moines de son couvent subirent peu après.
Un jour que le frère Jean s'était, à son habitude, retiré dans le bois voisin du couvent pour y faire ses oraisons et se livrer à la méditation, il entendit près de lui, sur l'arbre au pied duquel il était à genoux, un pinson qui sifflait d'une façon toute merveilleuse. Le bon moine oublia sa prière et resta à l'écouter,
« Comme je voudrais rester ici deux cents ans à entendre la voix divine de ce pinson! » pensa le Templier.
Le bon Dieu exauça sa prière. Le pinson chanta, chanta, chanta longtemps, bien longtemps, et le bon moine resta à l'écouter tout ce temps. Les jours, les semaines, les années passèrent; les Templiers furent brûlés en punition de leurs crimes, mais le frère Jean, oublié dans le bois, écoutait toujours la merveilleuse musique. Les arbres poussèrent, les branches s'entrelacèrent au-dessus de sa tête, le lierre y grimpa le long des tiges et des rameaux et préserva le bon Templier de la pluie en été, de la neige en hiver et Dieu permit que le froid ne se fît pas sentir dans cet endroit écarté.
Enfin, au bout de deux cents ans, l'oiseau cessa de chanter et s'envola, et le moine songea à reprendre le chemin du couvent, ne se doutant en aucune façon du temps qu'il avait passé à écouter le petit chanteur.
En arrivant au couvent, il se frotta les yeux en se demandant s'il rêvait; le couvent était tout changé, il paraissait bien plus ancien; les murailles étaient toutes noircies par le temps; de nouveaux bâtiments avaient été construits, d'autres enlevés et la chapelle avait fait place à une autre bien différente.
« Sans doute que tout ceci n'est qu'un artifice du démon! » se dit le Templier, et il se signa avec onction. Le couvent resta le même. Sans plus s'en occuper, le moine frappa à la porte d'entrée; le frère tourier vint ouvrir, il portait un habit monastique inconnu au frère Jean. -« Qui êtes-vous, frère ? -Qui je suis ? Mais... le frère Jean, parbleu ! -Le frère Jean!... Inconnu. Du reste, vous n'avez pas l'habit de notre ordre... -Mais... je suis sorti il n'y a qu'une heure pour aller prier Dieu au fond du bois ! -Inconnu! »
On le fit entrer néanmoins, on compulsa les anciennes archives des Templiers et l'on y trouva que deux cents ans auparavant, peu de temps avant le supplice des moines, un certain frère Jean avait subitement disparu. Le moine communia et mourut presque aussitôt.