« Ah! ah! ce matin, ma grosse cloche a le son d'argent! Oui, c'est bien là mon rêve de cette nuit; tous les trésors du vieux château sont à moi, bien à moi. La cloche ma mie, la cloche a le son de l'argent!
« Les béates grommelaient-elles ! les commères se prenaient-elles hanches et rognons de rire, quand j'achetai derrière la ville ce jardin, ce lopin de terre! Le sol y résonne creux, et je crois bien que si je frappais fort du pied, j'entendrais chanter les écus. « Oh! le vieux fou! disaient-elles, il paye argent comptant le terrain pour les trésors qui sont censés y être cachés; oh! le vieux fou!» Laissons dire ces branle-tête! Mes cloches, mes cloches ont le son de l'argent, de l'argent! »
Ainsi se parlait à lui-même maitre Gaignolaid le sonneur, en prêtant une oreille complaisante aux tintements de sa cloche et poursuivant son rêve et son chemin jusqu'à sa boutique de cordonnier. Mais, au lieu du bon saint Crépin, dont l'image était appendue à la muraille, le diable veillait sur l'échoppe et soufflait au sire du ligneux, avec la senteur du fin basilic, fleur du métier, l'amour du lucre et l'envie des trésors souterrains. Un petit son clairet, ravissant, réjouissant, argentin, ne lui chatouillait-il pas les oreilles? ne lui parlait-on point tout bas d'argent, d'argent et d'or?
« C'est bien, dit le sonneur, en plongeant son œuvre dans le baquet de science, je veux, ce soir, aller trouver la sorcière de Séron. Ah! c'en est une savante, celle-là! elle vous dénicherait l'argent dans la poche d'un procureur. Elle fera tourner pour moi sa baguette et me dira comment je pourrai appondre mes trésors. Bah! monsieur le curé me tancera et ma femme m'assourdira plus qu'un battant de cloche, mais je n'en sonnerai que plus fort, et puis je serai riche, bien riche. Le dimanche, quand j'irai au clocher, chacun, de tant loin qu'il m'avisera, me tirant son bonnet de laine, dira : « Bonjour, monsieur, monsieur Gaignolaid! »
A la nuit tombante, comme un chien honteux, le sonneur se rend au bois de Séron, mesurant ses pas précautionnés, l'œil clignotant, le pouls battant de fièvre; il approche de la maison ensorcelée, frappe d'une main peu assurée à la porte de la vieille et compte les clous (compter les clous d'une porte en attendant qu'on vienne l'ouvrir).
– « Eh! bonsoir, compère; c'est bien cela, le marguillier vient à l'heure de l'Angelus, » lui dit la devine en riant; et aussitôt un chat noir, qui avait les oreilles percées de boucles de cuivre, vint se frotter entre les jambes du sonneur. « Entrez, père Gaignolaid, et asseyez-vous sur cette chaise à trois jambes... Un moment!... Voulez-vous du petit livre ou du grand livre? »
– « Du grand, devine, du plus grand que vous aurez, car celui qui lit dans les plus gros livres est toujours le plus savant.
– « En voilà pour deux écus, compère!
– « Cela ne sera point trop cher, devine de Séron, si vous voulez me dire ce que vous savez bien.
– « Ton trésor, sonneur de Crozet? oui, je le connais depuis longtemps, comme je connais ton envie de l'avoir; mais il n'y a qu'un mal, c'est que c'est de l'argent de l'autre, et l'autre ne le lâche pas comme un poirier làche son fruit; il aime qu'on lui graisse la patte rien pour rien... Deux écus pour le grand livre!
– « Holà! le vilain bruit, commère! le vilain bruit!
– « Compère, c'est la chaviche (espèce de chat-huant) qui éternue: c'est bon signe, mon vieux! Tu n'as pas peur, toi qui sonnes pour les morts?
– « Non, sans doute; mais quelle vilaine odeur de soufre!
– « Ah! tu sens les herbes du matin de la Saint-Jean qui se fricottent dans la marmite. Il faut, ce soir, que nous fassions la grande omelette; et, pour meilleure ripaille, tu vas me donner ces deux bouteilles de vin vieux que je devine dans les poches gonflées de ton habit gris: çà nous régalera le cœur.
– « Femme de Séron, il n'y a pas le plus petit moyen de rien vous cacher; vous sentez le vin comme un renard flaire le gibier.
– « Marguillier mon ami, qu'il est franc, clair et doux, ton vin de voyage! Car vous en avez plusieurs sortes de vins, vous autres gens d'église: il y a le vin de burette, c'est la part de l'enfant de chœur; le vin bouché de la table de monsieur le curé, c'est le vin de confrères; il y a le vin fin de la bouteille du coin, c'est celui de la servante de curé; il y a... Vois-tu, Gaignolaid, contre ta cave, je troquerais tous les trésors de Crozet... Mais quelle bobe sainte tu nous fais! Trinque donc, compère.
– « Ah! vieille enragée, quelle eau de feu tu m'as versée! ça me brule, manche de fagot de sabbat; mon vin n'a pas ce goût de soufre.
– « Je te dis, brave marguillier, que vous avez aussi le vin des morts, le pot des enterrements. Une troisième bouteille fait encore gonfler cette poche de dessous... Le diable est gourmand, ce soir allons vite, la tierce bouteille!
– « Damnée femme! elle vous tirerait du vin d'un tonneau vide. Tenez, la vieille, voilà la bouteille et les deux écus pour le grand livre; mais, au nom du diable, dépêchez-vous; si je ne suis rentré à Crozet pour l'Angelus du matin, je... je serai...
– « Tu seras battu par ta femme... tout Crozet sait cela... Deux écus, voilà ma portion; mais il faut maintenant la part du maître, c'est-à-dire du diable, ou bien point de trésor!
– « Encore! Il est bien vrai de dire que, pour gagner un million, il faut en avoir déjà un, ou bien n'avoir rien vaillant. Mon Dieu! mon Dieu!
– « Tu viens de prononcer un mot qui gâte tout... Le diable vient d'entendre le nom de son ennemi; une pistole ne sera pas de trop pour apaiser sa bouderie; une pistole, ou bien point de trésor!
– « Le diable est bien gourmand, ce soir, ma commère, oh! bien gourmand!
– « Bon marguillier, argent d'église fait petit, dit le proverbe; le diable tient beaucoup à cette monnaie-là.
– « Prenez donc cette pauvre, cette chère pistole; mais que le diable parle cette fois! »
Trois fois toussa la sorcière de Séron, et, d'une voix de camarde, elle cria trois fois en faisant une grimace de singe vert : « Traverse montagne, vallon, scartapène, scartapon, scartapé, hé! vire, vire, ma vise (baguette de bois flexible) ! Que d'argent! que d'argent! Le grand Albert te fricasse, cuir de saint Crépin! Vieux gredin de sonneur, tu es riche, ton jardin est rempli d'or! Vois toutes ces pierres... précieuses qui reluisent au clair de la lune... Que d'argent! que d'argent!
— « Je veux que le diable s'emporte (que le diable m'emporte), si je n'y vois autre denrée que du soufre; je n'y vois que bleu, la vieille; je n'y vois que bleu.
— « Oh! bredin... la baguette a viré pour trois écus, mais pour quatre, je te fais couler un ruisseau d'or! Oh! quelle lueur me chatouille les yeux! Encore un écu, sonneur, je te donne ce trésor; car le maître le garde, mon ami, et, sans un papier de ma griffe, de moi son premier secrétaire, saint Crépin même y perdrait ses semelles.
— « Ouf! le bien est dur à gagner... Quatre écus et deux bouteilles !... le diable est fort gourmand, ce soir!
— « Eh! monsieur Gaignolaid, vous ne voulez donc pas que, le dimanche, sur la place de Crozet, lorsqu'on vous verra marcher, de drap fin habillé, faisant dans votre main tourner et gambiller (aller comme des jambes) votre bâton d'épine noire, comme si, mesurant vos domaines, vous disiez : « A moi tout le pays! à moi tout le pays! » vous ne voulez donc pas qu'on vous salue jusqu'à terre ?... Voyez ce gros, il a trouvé les trésors de Crozet; il est riche, plus riche qu'un couvent! Bonjour, bonjour, monsieur Gaignolaid!... Bon! voilà l'écu du maître. Marguillier mon ami, prends-moi cette consulte, ce billet signé du sang de chrétien; il a bouilli dans la marmite avec les herbes de la Saint-Jean, le venin de sept vipères rouges et les quatre os d'un pendu. Tu n'as qu'à dire ceci : « Traverse montagne, vallon, scartapène, scartapon, scartapé, hé!» Prends avec toi trois banbans (vagabond) de la paroisse, un meneur de poils, un rogneur de gros sous, un court-les-toutes: tu es assez riche pour partager. Sitôt la borgnon venue, allez à pas de loup à la sacristie de Crozet, accoutrez-vous du surplis du curé, au cou l'étole, en main le goupillon, descendez sans bruit dans le jardin; trois fois vous en ferez le tour, trois fois vous chanterez le grimoire : « Traverse montagne, vallon, scartapène, scartapon, scartapé, hé! » Alors, baissez-vous à terre et ramassez... Si vous ne trouvez ce que vous cherchez, je veux être battue... Allons, sonneur, en route! car ta femme se fâche pour toi, c'est grand danger! »
Gaignolaid quitta enfin la maison de Séron, où il laissait trois écus, trois bouteilles et une pistole, tout compte fait; mais n'avait-il pas ses parchemins? Comme il pressait sur son cœur le bienheureux papier! comme il y jetait des regards complaisants! comme il baisait la cédule merveilleuse! Non jamais madame Gaignolaid ne reçut de monsieur Gaignolaid, sacristain de Crozet, pareilles douceurs, ni semblables caresses.
— « D'où viens-tu, coureur, ivrogne, débauché? » cria-t-elle au contraire; et manche à balai de faire rendre au dos du sonneur les sons de l'Angelus, que sa chère moitié avait tinté, lui absent. Mais le digne homme, à tous les coups, répondait par un hélas! qui n'était pas tout à fait du chagrin, ni tout à fait de la joie, mais de la parfaite et chrétienne résignation.
Excuses faites, soupe mangée, coups digérés, la journée se passa tant bien que mal au tire ligneux, devant saint Crépin et le fin basilic. Le soir venu, le marguillier s'abouche avec trois vauriens, trois âmes damnées, la honte de l'endroit, bêtes noires de monsieur le curé, chargées de tous les cancans des commères et petits mots doucets des béates embéguinées il n'eût pu trouver mieux, même en cherchant dans tous les recoins du royaume joyeux du cabaret.
A donc ils attendent le brun-de-sie (crepuscule), sans bruit se glissent dans la sacristie solitaire, ouvrent les armoires qui grincent, s'affublent du surplis, de l'étole, sans oublier le sel bénit et l'eau bénite, poisons du diable; le jaune parchemin de la sorcière se déploie, comme une bannière, à la bise qui souffle tristement sur les ruines; et la procession sacrilège, au coup de minuit, s'avance psalmodiant son grimoire nasillard : « Traverse montagne, vallon, scartapène, scartapon, scartapé, hé!» Tout à coup la vieille tour tremble, les murailles, comme une immense toile, s'abattent, se rapprochent, roulent, roulent et fouettent les chercheurs sous leurs plis effroyables, toile énorme aux cent replis déchirés qui les étouffent et les oppressent... Ah! oh! ah! oh! d'affreux aboiements retentissent; un dogue noir, la gueule flamboyante, les yeux comme deux chandelles allumées, les poursuit en hurlant, ah! oh!
« Traverse montagne... » Mais la voix ne veut point sortir du corgnolon (gosier). Le vent souffle et rifle (souffler en ransant terre). Gare au damnés!
Toute la nuit, monsieur Gaignolaid et ses trois clergeons virèrent sous la toile, comme une botte de foin tourmentée par le vent. Le lendemain, leurs ménagères les relevèrent dans leur accoutrement profane, plus morts que vifs; et les petits enfants, voyant leur figure couleur de jaunisse, les montraient tous au doigt.
Quelquefois le sonneur, en bêchant son jardin, s'arrête pensif, le coude appuyé sur le manche de son outil et prêtant une oreille encore émue aux sons argentins de sa cloche... Un rire aigre, parti de je ne sais quelle fenêtre, le ramène à ses choux et à sa boutique toute parfumée de basilic fin.