Sur le mamelon rocheux qui domine la plaine d'Alsace se trouvent les ruines des trois châteaux d'Eguishem.
Lagina, fille de Hughes, comte de Nordgau, habitait ces châteaux. Sa mère était morte très jeune et son père n'avait pour elle que des caresses. Un lendemain de Pâques, il lui prit fantaisie de se promener seule dans la campagne.
Arrivée près d'un bouquet d'arbres, elle cueillit des rameaux fleuris, roses et blancs. Une très vieille paysanne lui fit reproche de saccager ses pommiers. « Vous êtes la fille d'en haut. Vous ne passerez pas avant d'entendre ce que j'ai sur le cœur. La misère accable les pauvres gens du pays, les impôts sont de plus en plus lourds, les gens de guerre n'ont pitié de personne. Et voici que vous détruisez les promesses des fruits sur le sol arrosé de nos sueurs et de nos larmes, tandis que ceux qui travaillent en sont réduits à manger l'herbe des champs. »
Lagina promena ses yeux sur la verdure neuve et répondit avec un éclat de rire : « La belle herbe des champs ! Mais elle doit être délicieuse à manger.
— Tu provoques le ciel, dit sourdement la vieille. Point de pitié pour les heureux qui raillent la misère. »
Elle dessina une croix, articula une formule. La terre s'entr'ouvrit et se referma sur Lagina. Elle restera sous terre jusqu'à ce que, à la place où elle repose, des hommes, dans la sincérité de leur cœur, aient répété les mots qu'elle a prononcés sur l'herbe des champs, avec la même gaieté.