Un habitant de Thièvres, revenait un soir d'été, vers dix heures, de la fête d'un village voisin, Orville, situé à quelques kilomètres de là. La lune était dans son plein, et le paysan chantait à gorge déployée.
A deux kilomètres environ de son village, il fut étonné de voir une grande ombre se détacher à côté de la sienne sur le rideau en talus bordant la route. Cette ombre était celle d'un homme de gigantesque stature, comme il parut au paysan. Peu rassuré, ce dernier se retourna et en un instant l'homme se trouva changé en âne. Le paysan ne chanta plus.
« Pour sûr, se dit-il, j'ai affaire à un lutin qui, pour me jouer quelque tour, vient ainsi de se changer en âne. Je donnerais gros pour être à la maison couché dans mon lit, à côté de ma femme, au lieu de me voir à cette heure en la compagnie de ce lutin. » L'homme pressa le pas et l'âne pressa le pas; L'homme s'arrêta et l'âne s'arrêta. Le paysan reprit sa route en courant et l'âne courut sur ses talons jusqu'à l'entrée du village. Mais là, le lutin disparut. L'homme s'en croyait définitivement débarrassé quand, arrivant à la porte de sa maison, il y retrouva le lutin. L'âne se rua sur lui, le frappa de grands coups de sabots et s'enfuit en poussant des hi ! han! hi ! han! à réveiller tout le village. Il était à une demi-lieue de Thièvres qu'on entendait encore le bruit de ses sabots frappant le sol.