La légende de la Croix Guichon [Réveillon (Orne)]

Publié le 10 mars 2024 Thématiques: Combat , Croix , Décapitation , Décapité , Fantôme , Guerre de religion , Mort , Origine , Origine d'un nom , Protestant , Revenant , Sans tête ,

La croix Guichon
La croix Guichon. Source Google Street View
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Source: Pitard, P. / Légendes et récits percherons (1875) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Croix Guichon / Réveillon / Orne / France

A la suite du pillage de la maison des Trinitaires de Saint-Eloi de Mortagne (22 mars 1562), par les Huguenots, quelques gentilshommes de ce parti s'étaient répandus dans les campagnes à la poursuite de certains de leurs adversaires que leur présence avait fait fuir, emportant avec eux ce qu'ils avaient de plus précieux.

Un gentilhomme catholique, nommé Pierre des Guichons, qui avait reçu l'hospitalité chez les religieux de Saint-Eloi, la veille de l'arrivée des Huguenots, avait pu, grâce à un déguisement, s'échapper et s'enfuir à Réveillon, d'où il espérait à la faveur des bois et des chemins de traverse, pouvoir gagner Nogent-le-Rotrou. Une fois là, il était en sûreté.

Des Guichons, accompagné d'un guide que lui avait donné le seigneur de Réveillon, suivait donc, au pas de son cheval, le lendemain du sac du couvent, le chemin qui conduit de Réveillon à Courgeon, quand, à environ un quart de lieue de la première de ces communes, il se trouva tout-à-coup en présence de huit ou dix cavaliers qu'il reconnut pour des Huguenots.

Reculer et fuir à leurs yeux n'était pas possible, d'ailleurs son sang se révoltait à cette pensée. Piquer des deux et s'ouvrir un passage à coups d'épée était plus brave mais moins sûr encore. Cependant, voyant que les cavaliers prenaient une attitude menaçante, il tira un de ses pistolets des fontes et dégaina bravement.
A la vue de ce qui se préparait, son guide ne vit rien de plus prudent que de tourner les talons et de s'enfuir à toutes jambes d'où il était venu.

Pendant ce temps, le gentilhomme catholique, qui n'avait pas de raisons pour désirer en venir, sans parlementer, aux extrémités, demanda aux Huguenots s'ils voulaient lui livrer passage.
– Nenni, monsieur de la messe, répondit l'un deux, tournez bride si bon vous semble, mais vous ne passerez pas... à moins que vous nous fassiez cadeau de votre cheval pour remplacer l'un des nôtres qui est tombé là-bas.
Celui qui venait de parler se pencha de côté et démasqua l'un de ses compagnons qu'il portait en croupe.
– Non seulement vous n'aurez pas mon cheval, mais encore je passerai malgré vous, reprit des Guichons... ou je resterai, ajouta-t-il tout bas.

Et enlevant son coursier, il se trouva bientôt au milieu des Huguenots, frappant à droite, à gauche pour les faire écarter. D'un coup de pistolet, il cassa la tête de celui qui était déjà privé de sa monture; d'un coup d'épée, il troua la poitrine d'un autre et aurait sans doute passé outre si la voie eut été plus large, mais seul contre huit ou dix, que pouvait-il faire?

Après avoir mis hors de combat quatre de ses ennemis, il reçut à la tête un coup qui le renversa sur la croupe de son coursier et, dans le même moment, une autre épée lui tombant sur la gorge, la lui coupa. Son corps roula dans la boue et fut piétiné par les chevaux.

Peu soucieux de ce que pouvait devenir le cadavre, les Huguenots continuèrent leur route emportant ceux des leurs que les coups du catholique avaient atteints. Le cheval du jeune homme, profitant du temps d'arrêt qui avait suivi la chute de son maître, le mit à profit pour s'enfuir du côté de Courgeon.

De retour à Réveillon, le guide qui avait abandonné le malheureux gentilhomme, raconta ce qu'il avait vu et ce qu'il pensait avoir dû résulter de sa rencontre avec les Huguenots. Le lendemain, des habitants se rendirent au lieu désigné et trouvèrent le cadavre à la place où, la veille, il était tombé, mais la tête y manquait. Qu'était-elle devenue? On ne put le savoir. Toutes les recherches faites dans ce but restèrent sans résultat.

Le corps fut apporté à Réveillon et le propriétaire de l'un des champs dominant le lieu du combat y planta une croix pour en perpétuer le souvenir.
Tous les ans, aux Rogations, le clergé de Réveillon y va processionnellement.
Autrefois, durant la semaine sainte, les fidèles de cette paroisse y allaient également chaque soir, chanter le Cantique de la Passion, et une croyance encore très répandue dans le pays, c'est qu'à cette époque de l'année, on y voyait quelquefois, la nuit, un fantôme sanglant, privé de sa tête, qui fuit le monde en se courbant sur le chemin.

C'est, disent les bonnes femmes, le gentilhomme catholique qui cherche toujours sa tête !...


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