Sous le règne du duc Robert de Normandie. Non loin de la forêt chaque année agrandie Et qui verdoie aux alentours, Le comte Herbert trônait dans le castel d'Écouves, Flanqué de pont-levis, entouré de trois douves Et défendu par quatre tours.
Pour fille il possédait Alice la charmante, Dont les attraits, à moins que l'histoire ne mente, Jetaient un éclat surhumain. Et plus d'un prétendant qu'aucun refus ne lasse, Séduit par son esprit autant que par sa grâce, Briguait sa fortune et sa main .
Mais entre tous, Guillaume, un cavalier modèle, Sire de Médavy, fut distingué par elle Et payé d'un tendre retour. Il portait un grand nom et s'était fait connaître Par de vaillants exploits; sans doute il devait être Le plus digne de son amour.
Pour protéger le faible, il guerroyait sans cesse Contre Ulric de Cuissai, dont l'unique prouesse Était de guider les larrons; Ne vivant que d'affreux et d'incessants pillages, Il était devenu, par tous ses brigandages, L'effroi constant des environs.
Mais Ulric, enflammé par la beauté d'Alice, Avait juré, les mains en croix sur un calice, Qu'à lui seul elle appartiendrait. Pourtant, le comte Herbert, en père de famille, Sans effort avait fait la promesse à sa fille Qu'à Guillaume elle s'unirait.
Les cloches un matin ébranlent les murailles, Car c'est l'heure où le ciel ajoute aux fiançailles Un acte encor plus solennel. Alice, tout en blanc, prend le bras de son père, Qui de s'en séparer, quoiqu'il se désespère, Cependant la mène à l'autel.
Tout à coup effrayée, Alice fond en larmes: Un galop de chevaux, le cliquetis des armes Frappent son oreille et son cœur. Le pont-levis s'abaisse, et des rumeurs bruyantes, De nombreux estafiers, aux mines provoquantes Pénètrent dans la cour d'honneur. Au seuil de la chapelle où le couple palpite,
Une dague à la main, Ulric se précipite, Ivre de son cruel dessein. Aveuglé par l'espoir qu'affole sa vengeance, Comme un tigre, d'un bond, sur Guillaume il s'élance Et lâchement le frappe au sein.
Ulric inassouvi, dans ses bras nerveux serre La jeune fille qui, bouillante de colère, Le repousse énergiquement. « Expire aussi, dit-il, sous ma dague édentée!... Sur le corps de Guillaume, Alice ensanglantée, Meurt, tombe, et l'étreint tendrement.
Le crime consommé, le monstre à ses gens d'armes Ordonne d'enfouir sans prières, sans larmes, Les corps dis jeunes fiancés. « Saisissez ce vieillard et chargez-le de chaînes , « Dit-il; le comte Herbert doit, aux saisons prochaines, « Être au nombre des trépassés. »
Un an s'est écoulé, la nuit naît froide et sombre, Ulric avec les siens, pour marauder dans l'ombre, Chemine au fond de la forêt. Tout à coup, d'une fosse une mobile flamme S'avance en grandissant, prend l'aspect d'une femme Et devant lui fait un arrêt.
A moi s'écrie Ulric d'une voix étouffée. » Dans ce fantôme errant croyant voir une fée, Ses gens accourent des halliers. A leur rapière ils font en vain faire la roue, De leurs cris de fureur le spectre qui se joue, Se mire dans leurs boucliers.
Tôt ou tard, aux remords personne ne résiste : Ulric, ému, rentra silencieux et triste, Le front baissé, dans son manoir. Toute la nuit on vit, aux faîtes des tourelles, En cercle voltiger, des chauves-souris frêles, Le cortège sinistre et noir.
Quand l'aube se leva, dès le lendemain même , En entrant dans sa chambre, on trouva son corps blême Dont la vie avait déjà fui. Et sur un parchemin, avec du sang tracée, On lut son épitaphe, à présent effacée : « Ulric n'est plus, prier pour lui. »