Les fantômes de la rue d'Enfer de Courgeon [Courgeon (Orne)]

Publié le 4 mars 2024 Thématiques: Fantôme , Jouer des tours , Origine , Origine d'un nom , Paysan , Route | Chemin , Ruse ,

Trois hommes déguisés en fantôme
Trois hommes déguisés en fantôme. Source Dall-E 3
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Source: Pitard, P. / Légendes et récits percherons (1875) (3 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Chemin d'Enfer / Courgeon / Orne / France

Au mois de mars 1870, deux habitants de Courgeon, les frères François et Thomas Pelletier, quittaient leur demeure pour aller à Mauves, accompagnés de deux chiens de berger à long poil.
La nuit était venue depuis plus d'une heure, et les deux voyageurs nocturnes avaient pris pour s'éclairer une grosse lanterne dans laquelle brûlait tristement le bout d'un vieux cierge de cire jaune.
Ils avaient déjà parcouru plusieurs centaines de mètres quand, tout-à-coup Thomas, qui marchait le premier, butta dans les chiens qui, arrêtés et le poil hérissé, restaient immobiles et tremblants au milieu du chemin.

Arrêté ainsi brusquement, Thomas, qui probablement tenait mal sa lanterne, la laissa tomber dans la boue, où le cierge s'éteignit. Aidé de son frère, il la chercha durant quelques minutes, et, l'ayant retrouvée, tous deux allaient continuer leur route, quand, à trois pas d'eux ils aperçurent, leur barrant le passage, trois grands fantômes blancs dont les vêtements traînaient à terre.

Plus morts que vifs, les Pelletiers ne savaient s'ils devaient continuer d'avancer ou de fuir; ils allaient pourtant prendre ce dernier parti quand l'un des fantômes passant rapidement entre eux les saisit par chacun un bras, en leur disant d'une voix formidable:
– En avant pour l'éternité !

Un sourd grognement des chiens répondit à cet ordre et les deux paysans, incapables de résister, se laissèrent conduire par leur guide qui leur serrait d'ailleurs les bras d'une façon très-expressive.
Quand ils eurent marché pendant dix minutes, il les arrêta et, faisant un mouvement de la main, il appela près de lui les autres personnages blancs qui suivaient à peu de distance et paraissaient porter quelque chose, sur un signe, ils tirèrent d'un sac des poêlons qu'ils mirent entre les mains des deux frères.

Non loin de là, se voyait une maisonnette d'assez chétive apparence, à l'une des fenêtres de laquelle une faible lumière se laissait apercevoir. Le fantôme qui paraissait commander aux autres, montrant le poing à l'habitation, dit à ses prisonniers, toujours avec sa grosse voix :
– Faites comme nous, c'est l'ordre d'un mort.
Et prenant une pierre sur le chemin, il se mit à frapper avec rage sur son poêlon, exemple qui fut suivi par ses compagnons.

Les deux frères, à la pensée desquels ne vint même pas l'idée de la comédie qu'on leur faisait jouer, firent ce qu'on leur demandait.
Les chiens dont ce tapage attaquait les nerfs, se mirent de la partie en hurlant avec fureur..

Le vacarme dura jusqu'à ce qu'enfin les bras des exécutants fussent las, et les chiens à bout de voix; alors, les fantômes, se débarrassant rapidement de leurs suaires, les jetèrent sur leurs complices involontaires et les entortillèrent dedans; puis, les couchant la face contre terre, ils disparurent à travers champs, laissant leurs victimes se débarrasser comme elles le pourraient.

Le lendemain, comme cette singulière aubade avait été entendue de très loin, chacun se demanda ce qui en avait pu être la cause, mais les frères Pelletier ne dirent rien, de crainte d'attirer sur eux la colère de ceux qu'ils avaient la simplicité de prendre pour des esprits, malgré la grossièreté de leur procédé; de leur côté, les revenants ne se firent point connaître pour le moment.

Depuis cette époque, le chemin où cette aventure est arrivée a conservé le nom de chemin d'Enfer ou rue d'Enfer. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un sentier raccourci que l'on prend pour aller de Courgeon à la route de Mauves.
Bien des gens ont prétendu, depuis, avoir vu aussi des choses extraordinaires le long de ce sentier. Cherchaient-ils à en imposer à leurs voisins et amis ou bien avaient-ils été dupes de leur imagination surexcitée par la boisson? Les deux hypothèses sont admissibles.

Il y a quelques années, un cordonnier du pays a affirmé avoir rencontré au même endroit, en pleine nuit une sorte d'enterrement où tous, clergé, charitons, cercueil et assistants étaient impalpables et silencieux et semblaient glisser sur le sol.

D'autres ont vu autre chose. Il en est toujours ainsi certaines gens, à force de répéter une aventure de leur invention, finissent eux-mêmes par y ajouter foi en vieillissant, et quand la raison commence à s'affaiblir avec l'âge, ils ne se rappellent plus que ce qu'ils donnent comme vrai a été autrefois imaginé par eux, soit pour se donner de l'importance, soit pour faire des dupes. Ils oublient surtout que l'abus des boissons est une excellente préparation aux hallucinations saugrenues, et que les trois quarts du temps, à l'heure où se montraient les prétendues apparitions, leur pauvre raison était restée au fond des pots.


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