De l'étang de Vrigni je connais la légende Que j'entendis conter par des pâtres normands; Elle est intéressante, et je la recommande A ceux qui sont épris de récits émouvants.
Ce magnifique étang, merveille des merveilles, Fait l'admiration de tous ses visiteurs ; Le chevreuil y vient boire, et des essaims d'abeilles S'abattent sur ses bords enguirlandés de fleurs.
Sans cesse il se revêt de joncs frêles et souples Qui dressent dans les airs leurs plumets veloutés, Et les canards plongeurs s'y promènent par couples, Sans être par la loutre atteints ou déroutés.
On ne saurait trouver de site plus agreste ! le chant des oiseaux, au réveil du printemps, Que la brise accompagne avec son frais orchestre, Offre un charme naïf que j'ai goûté longtemps.
Les grands bois de Sacy l'encadrent de verdure Et lui prêtent l'abri de leurs arbres altiers ; On y peut, en juillet, des chaleurs qu'on endure Éviter aisément les rayons meurtriers.
Une barque légère, enchaînée à la rive, La nuit prend son essor et glisse sur ses eaux; Elle navigue seule et dès que l'aube arrive, D'elle-même elle rentre au milieu des roseaux.
Qui détache et dirige, aux lueurs de la lune. Ce frêle esquif sans voile? On ne l'a jamais su. Pourtant, plus d'un chasseur espérait, à la brune, Découvrir ce mystère et fut toujours déçu.
Le seigneur de Vrigni, dont la famille éteinte N'a plus de descendants, était veuf, mais avait Une fille fort belle et que Mignard a peinte Si bien, qu'en la voyant le monarque en rèvait.
Elle n'eût à la cour point trouvé de rivale, Mais elle préférait son foyer familier; L'amour avait touché son âme virginale : Elle allait épouser un brillant chevalier.
Les fiancés coulaient des jours remplis d'ivresse En attendant l'instant qui devait les unir, Quand la guerre appela le ban de la noblesse Et d'où le chevalier ne put point revenir.
En apprenant soudain cette affreuse nouvelle, Son coeur brisé sentit le deuil voiler ses jours, Et son front se couvrit d'une pâleur mortelle Que depuis ce moment elle garda toujours.
Se rappelant le temps de son bonheur mystique, Qui, quoique près du but devait si peu durer, Sur les bords de l'étang, seule et mélancolique, Avec le crépuscule, elle venait errer.
Un soir qu'elle rôdait sans doute sur la rive, Par les pleurs aveuglée elle glissa dans l'eau ; Car on ne revit plus, inclinée et pensive, La pâle jeune fille au balcon du château.
On dit dans le pays, que depuis cette époque, Sur l'étang de Vrigni son ombre vient souvent, Et qu'on entend parfois, comme un tendre colloque Et des soupirs plaintifs qu'on prend pour ceux du vent.
Chaque nuit on croit voir, à la première étoile Éparpillant dans l'air ses rayons jaillissants , Voguer dans la pénombre une barque sans voile Qui sillonne les eaux et les croise en tous sens.