Je puis, quoique Normand, dire sans hyperboles Qu'il n'est point de pays, pour les êtres souffrants, Plus agreste et plus sain que celui de Bagnoles, Où tous les ans on voit se guérir des mourants.
Aussitôt que juillet en échauffe la rive, Aux champs rend les bluets et les coquelicots, Dans les murs des cités lasse d'être captive, Vers ce site charmant la foule vient à flots.
Le sol, accidente de vallons et de plaines, Aux regards de l'artiste offre d'heureux contours, Et de tous les côtés de superbes domaines Élèvent jusqu'au ciel leurs orgueilleuses tours :
Domfront, qui, comme un aigle assoupi dans la nue, Domine des forêts l'attrayant horizon; Bonvouloir, le castel à la tourelle nue, Où la recluse fut si longtemps en prison;
Le château de Lassay, que de loin on découvre, Avec ses fiers donjons et son lourd pont-levis, Vestiges du passé préservés de la foudre, Les plus intéressants qu'en touriste je vis;
Puis La Ferté-Macé, cette ville ouvrière Dont le commerce prend un essor tout nouveau; Rånes avec sa fée et le champ de la Pierre, Dont l'étang renommé porterait un vaisseau.
De Bagnoles j'ai pu retenir la légende, Que m'a dite un vieux pâtre en me montrant du doigt, Au pied d'altiers rochers couronnés d'une lande, La source radieuse où la santé se boit.
Un vieux cheval poussif, inutile à son maître, En ce lieu fut par lui délaissé sans retour. Dans l'eau fertilisant les prés qu'il venait paître La bête jusqu'au cou se plongeait chaque jour.
Plus tard, l'ayant revu, bien portant et sans fange, Gambader comme font les plus fringants chevaux, Son maitre, émerveillé de ce prodige étrange, De Bagnoles vanta les précieuses eaux.
Et depuis cette époque on arrive les prendre Des bords les plus lointains avec un prompt succès : Car tout être éprouvé, qui veut à temps s'y rendre, Des douleurs dont il souffre évite les accès.
Leur efficacité n'est plus l'objet d'un doute, Puisque les médecins y viennent s'y traiter ; Et, si l'ivrogne seul en évite la route, C'est que l'aspect de l'eau suffit pour l'irriter.
Mais ce qui fait leur vogue et la fera sans cesse, C'est qu'aux femmes qui voient poindre des cheveux gris Elles ont le pouvoir de rendre la jeunesse, Et de les faire aimer, même de leurs maris.
Ne pensez certes point que de votre croyance, O lectrice! je veuille abuser aujourd'hui: Je sais ce que je dis, et du fait que j'avance Je vais vous raconter une histoire à l'appui.
Le sire d'Ecajeul, la chronique l'affirme, Épousa par amour une belle à l'oeil noir; Mais un mal imprévu la rendit presque infirme, Cacochyme, boiteuse et repoussante à voir.
Le mari, fatigué de sa débile femme, Qui devenait le but de quolibets railleurs, Mit un soir l'éteignoir sur son ancienne flamme Et pria sa moitié d'aller giter ailleurs.
Celle-ci, désolée et n'ayant plus au monde De parents ni d'amis, en sanglotant s'enfuit Et courut se jeter dans l'eau claire et profonde Dont on tire à présent un si riche produit.
Le ciel entend toujours la voix qui l'intercède : Son bourreau, qui, de loin, la suivait à grands pas, Arrive, haletant, promptement à son aide ; Il plonge, la saisit et l'arrache au trépas.
Quand l'Angelus sonna le matin à l'église, Annonçant du soleil les feux éblouissants, De l'époux quelle fut l'agréable surprise De trouver à sa femme un teint comme à seize ans !
Ce bain avait suffi pour la rendre plus belle Qu'avant sa maladie elle n'avait été. Tous ceux qui la voyaient, prosternés devant elle, Éblouis par ses yeux, acclamaient sa beauté.
Il semblait que l'amour de ses lèvres vermeilles Laissât fuir des baisers pour être recueillis. . Par des galants, nombreux comme un essaim d'abeilles, Ses pas étaient traqués et sans cesse assaillis.
De faveurs par le roi la dame fut comblée... C'est alors que l'époux eût préféré cette fois Sa laideur à la vie inquiète et troublée Dont les constants ennuis le mettaient aux abois.
La jalousie au cœur et bouillant de colère, Dans le lac il se jette et met fin à ses jours. Sa femme, indifférente, hélas ! le laisse faire, Sans crier ni tenter de lui porter secours.
Ce qu'on prend en hiver pour le bruit effroyable Du vent dans les sapins que la neige blêmit N'est, m'a dit un berger, que la voix lamentable Du seigneur d'Écajeul, qui gronde et qui gémit.