Elle s’appelait la Marguerite Frioule. Elle habitait à Corny, dans une masure vétuste, un peu à l’écart du village. Elle y vivait dans la pauvreté, et nul ne savait exactement d’où elle tirait sa subsistance, car elle ne possédait guère qu’un tout petit jardin autour de sa maison et une chèvre si maigre qu’on lui voyait toutes les jointures.
Souventes fois, le samedi soir, on voyait une fumée abondante, et toute noire, s’échapper de sa cheminée. D’autres samedis soirs, aucune fumée ne surmontait le toit, ce qui prouvait certainement que la Marguerite Frioule était absente. Où pouvait-elle donc se trouver, à pareille heure, sinon au sabbat, en compagnie du diable, sur les hauteurs de Gorze, ou à Grégivaux, ou encore à Vallières, où l’on savait que se tenaient les réunions de la gent sorcière ?
Au reste, son chat noir avait des yeux si étranges, il vous regardait d’une façon si bizarre qu’à n’en pas douter, il était l’inséparable compagnon d’une sorcière. Quant à sa chèvre, ses cornes avaient précisément la même forme que celles du diable qui, affirmait-on, avait bâti le fameux pont de Jouy et celui d’Ars, de l’autre côté de la Moselle. Aussi les gens du voisinage se signaient-ils craintivement, quand ils étaient obligés de passer devant sa porte.
Pourtant, personne à Corny n’avait rien de précis à reprocher à la Marguerite Frioule. Depuis plusieurs années, aucune vache n’avait été ensorcelée ; pas un cheval n’était mort de langueur. Quant aux accidents survenus à des paysans ou à leurs animaux, ils pouvaient tous s’expliquer d’une façon naturelle. Sans doute, la Marguerite Frioule, pour détourner l’attention des gens du village, exerçait-elle ses maléfices ailleurs.
C’est pourquoi plusieurs bonnes âmes estimèrent qu’une telle situation ne pouvait se prolonger, et la dénoncèrent à l’autorité judiciaire.
Le procès ne traîna pas. Les juges la convainquirent facilement de sorcellerie et la Marguerite fut condamnée à être brûlée vive.
Rapidement, on éleva le bûcher sur la grand’place du village, où toute la population se rassembla pour assister à ce spectacle ; car c’était la première sorcière que l’on brûlait à Corny, alors que la plupart des villages voisins avaient déjà vu griller la leur.
Mais avant de gravir le bûcher, la Marguerite Frioule se tourna vers les assistants et, d’une voix suppliante, demanda une dernière grâce avant de mourir :
— La dernière pelote de laine que j’ai filée, réclama-t-elle. Elle se trouve à côté de mon rouet. Je voudrais la tenir encore une fois dans ma main…
Sa voix était si plaintive qu’on n’osa pas lui refuser cette faveur, d’autant que la prière paraissait vraiment anodine.
— C’est bon ! On va te la chercher, répondirent plusieurs voix.
On lui apporta donc sa pelote de laine. La Marguerite Frioule s’en saisit aussitôt, avec une joie non dissimulée.
Mais à peine l’eut-elle dans la main, que le fil se déroula avec une rapidité vertigineuse pour aussitôt s’enrouler autour de la sorcière qui, en un clin d’œil, fut ficelée du haut en bas comme une saucisse, et pft !… La Marguerite Frioule s’envola dans les airs, et disparut derrière la colline.
Tous les assistants poussèrent un ah ! de surprise et, furieux autant que déçus, s’en retournèrent à leur logis.