Au lieu où s'élève Coëtbo existait jadis un vieux manoir dans lequel se plaisaient des lutins qui vivaient là fort paisiblement et en parfaite intelligence avec les propriétaires. Mais, au commencement du XVIIe siècle, quand le vieux manoir fut détruit pour faire place au beau château de nos jours, les lutins, furieux d'avoir été dérangés, se mirent à faire rage dans leur nouvelle résidence.
Se mettait-on à table? les verres éclataient sans avoir été touchés; les assiettes se brisaient dans les mains des convives!... Voulait-on se reposer? les clefs des chambres n'étaient plus aux portes, et quelquefois on les retrouvait sur la margelle du puits, au milieu de la cour!... Se couchait-on? un vacarme infernal rendait le sommeil impossible!... Enfin, voulait-on se lever? les habits avaient disparu ou tombaient en lambeaux à mesure qu'on s'en revêtissait!...
Un jour, des couturiers, sauf ton respect, étaient réunis au château pour y confectionner les hardes de noces d'un domestique qui se mariait. Ils avaient, suivant leur coutume, placé sous eux toutes les pièces du drap préalablement taillé; mais quand ils voulurent reprendre ces pièces pour les assembler et les coudre, ils les trouvèrent déchirées en mille et mille morceaux !
Ces lutins endiablés ne respectaient ni hommes ni femmes, ni maîtres ni valets, ni gens ni meubles, et l'on montre encore au château des portraits de famille lacérés par cette engeance maudite qui, acharnée surtout contre les habits, forçaient souvent les gens à demeurer en chemise, seul vêtement qu'elle épargnât, par pudeur, sans doute !
Excédé de ces éternelles vexations, le seigneur châtelain fit venir un docteur en Sorbonne pour en rechercher les causes et y mettre fin; le docteur y perdit son grec et son latin! Le seigneur eut alors recours à son évêque qui vint de Saint-Malo à Coëtbo, hélas! sans plus de succès. Enfin on s'imagina qu'une pauvre fille qui avait été recueillie par charité au château y avait jeté des sorts, et, sans pitié, on la chassa, mais les enragés lutins redoublèrent leurs méfaits, et les environs du château devinrent, comme le château lui-même, témoins de faits étranges. Ainsi, quand un homme à cheval passait près de Coëtbo, un lutin montait en croupe derrière lui et tourmentait cavalier et monture jusqu'à ce qu'il eût perdu de vue le château; si c'était un piéton, le lutin s'élançait sur ses épaules et le traitait comme on traite un cheval!
C'est horriblement vexant, n'est-ce pas, d'être pris pour une bête? Mais ne t'émeus pas encore, mon ami, et réserve ta sensibilité pour la fin de mon récit; non seulement les gens de Guer ont à supporter mille insolences de la part d'esprits invisibles; mais encore ils ont chaque jour, ou plutôt chaque nuit, à souffrir les brutalités d'un être très-visible et surtout très-palpable qui, sous des formes animales variées, les moleste dans leurs chairs et dans leurs os.
Demande au premier paysan crotté que tu trouveras sur ton chemin, un soir de marché ou de foire, qui l'a couvert de boue et lui a poché l'œil? il te répondra : « c'est la Piphardière!..... » et si tu veux savoir ce que c'est que la Piphardière, l'un te dira qu'il l'a vu en cheval, un autre en ours, un troisième en chien ou en chat, un dernier enfin en mouton ou en chèvre: et tous t'affirmeront gravement et sérieusement que la Piphardière, dont ils ont fait rencontre à un carrefour de sentiers ou de chemins, les a suivis, tantôt grande et longue, tantôt petite et courte; les a poussés dans les mares; leur a passé entre les jambes pour les culbuter, et que, par ses maléfices, ils ont fait plus de route à quatre pattes que debout.