La plus célèbre des dames blanches de la Hague est la Demoiselle de Tonneville. On montre encore le manoir où elle a vécu autrefois avant de devenir dame blanche. Elle appartenait à la famille de Percy, qui n'est pas encore éteinte et dont un des derniers descendants a fourni des couplets au Momus normand de 1832. Le manoir où elle vécut est une construction de modeste apparence qui se distingue à peine des autres habitations des propriétaires aisés du pays. A quelle époque vivait-elle ? La tradition est muette sur ce point, mais on lui attribue d'avoir été impatiente, dure pour ses vassaux et surtout vindicative.
Une contestation était survenue entre la paroisse de Tonneville et la paroisse limitrophe de Flottemanville au sujet d'une lande. On plaida avec acharnement de part et d'autre; Mademoiselle de Tonneville, irritée des obstacles qu'elle rencontrait, s'écria un jour : « Si, après ma mort, j'avais un pied dans le ciel, et l'autre dans l'enfer, je retirerais le premier pour avoir toute la lande à moi. >>
Elle répéta ce propos à plusieurs reprises. Elle ne se maria pas et vécut brouillée avec tout le monde. Quand elle tomba malade, le curé vint pour la préparer à la mort, elle lui répondit qu'elle était toute préparée et n'avait pas besoin de son intervention. Il l'exhorta à se réconcilier avec ses ennemis et à rétracter ce qu'elle avait dit au sujet de la lande; elle refusa énergiquement et répéta que si elle avait un pied dans le ciel et l'autre dans l'enfer, elle retirerait le premier pour avoir la lande, et mourut dans l'impénitence finale.
On s'attendait à un prodige au moment de sa mort. Il n'arriva rien de particulier, mais lors de l'enterrement, quand on voulut sortir le cercueil, le corps devint si lourd qu'il fut impossible d'aller plus loin. On essaya de le mettre sur un chariot, impossible aux plus forts hommes de le soulever. On y attela jusqu'à six chevaux, le cercueil ne bougea pas. On prit le parti de creuser le sol à l'endroit même; la fosse une fois faite, on y descendit le corps sans difficulté, on remit la terre et les pierres par dessus. Ces pierres forment maintenant le seuil de la cour.
Le souhait de Mademoiselle de Tonneville ne tarda pas à se réaliser, à en croire la tradition. Dès qu'il fait nuit, si l'on passe sur les landes de Tonneville ou de Flottemanville, on s'expose à rencontrer la Demoiselle vêtue de blanc. Quelquefois on croit l'apercevoir de loin, puis, si l'on regarde mieux, on ne distingue plus rien. Le plus souvent elle s'amuse à égarer les voyageurs, à leur faire perdre le sentier connu, à les attirer sur ses pas et à troubler tellement leur esprit, qu'au lieu d'arriver à leur destination, il se trouvent, sans savoir comment, près de l'étang de Percy, où d'un coup brusque, la Dame les précipite. On l'entend ricaner alors du succès de sa ruse.
Une nuit mon arrière-grand-père maternel traversait la lande à cheval. Il revenait de Cherbourg et il avait quelque peu festoyé avec ses amis, je suis porté à le croire; une voix se fait entendre sur la lande, une voix féminine très douce : -Où coucherai-je cette nuit? Il regarde, il aperçoit une belle dame en blanc qui répète sa question : Où coucherai-je cette nuit? Avec moi, belle dame, je vous en prie. Il n'avait pas achevé ces mots que son cheval fit un brusque écart et se mit à renifler: la demoiselle avait sauté en croupe derrière lui, le cheval prit le galop. Mon bisaïeul se retourna vers la dame, il la remercia de vouloir bien lui tenir compagnie et pour commencer la connaissance, il voulut l'embrasser; mais elle lui montra des dents d'une longueur démesurée et s'évanouit. Il s'aperçut alors qu'elle l'avait conduit dans l'étang.
Quand elle eut disparu, le cheval, qu'une force supérieure n'incitait plus, rebroussa chemin avec quelque peine, regagna la lande et emporta son maître à la maison, aussi vite que s'il avait eu le feu à ses trousses.