La légende de la demoiselle d'Héauville [Héauville (Manche)]

Publié le 25 janvier 2023 Thématiques: Animal , Cheval , Cheval fantôme , Dame blanche , Jouer des tours , Lieu hanté , Nuit ,

La Dame Blanche
La Dame Blanche. Source Midjourney
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Source: Fleury Jean / Littérature orale de la Basse-Normandie (1883) (3 minutes)
Lieu: Les landes d'Héauville / Héauville / Manche / France

Un forgeron d'Héauville revenait de Cherbourg avec une somme de charbon de terre; une fois arrivé dans la lande, il vit tout-à-coup une belle demoiselle vêtue de blanc et plus grande que nature marcher devant lui. Il comprit bien vite à qui il avait affaire et ne s'effraya pas trop. -Ah! mademoiselle, lui dit-il, vous v❜là belle assez. Vous avez de beaux souliers et une belle robe. Allez-vous vous marier? Il s'approcha pour toucher la robe. Mais la demoiselle, qui marchait à côté du cheval, fit un mouvement d'épaule et jeta la charge à terre. -Mademoiselle, lui dit le forgeron, vous avez tort de vous fâcher, je ne vous veux pas de mal.

Il rechargea son charbon non sans peine. La demoiselle continua à accompagner le forgeron, mais en lui faisant insensiblement changer de chemin, et quand ils furent arrivés près d'une mare assez profonde, elle poussa brusquement le sac dans l'eau, espérant sans doute que son compagnon de route allait s'élancer après son sac et se noyer peut-être en le retirant. Mais le sac tomba au bord de l'eau, si bien que le forgeron put le recharger. Elle eut même la complaisance de lui aider; après quoi elle disparut.

La demoiselle d'Héauville prenait différentes formes, comme on le verra dans le récit suivant que je tiens du même narrateur que le précédent.

Mon arrière-grand-oncle avait une jument blanche avec laquelle il allait porter des sacs de blé au marché, car alors les chemins étaient si étroits qu'on n'aurait pu se servir de charrettes comme on fait à présent. Il s'arrêtait parfois à boire en chemin avec des amis, et comme sa jument était docile et intelligente, il la renvoyait toute seule à la maison. Elle s'appelait Blanchemine et par abréviation Blanmine. Un soir qu'il avait ainsi envoyé Blanmine en avant et qu'il se rendait à pied chez lui en traversant la lande, il aperçoit tout à coup sa jument qui vient à lui en faisant des carousades, c'est-à-dire des sauts joyeux: -C'est toi que v'là, lui dit-il, viens t'en!

Mais la jument, au lieu de le suivre, rebrousse chemin et se prend à courir. Mon grand-oncle se met à sa poursuite. Elle le promène ainsi longtemps sur la lande, sans qu'il parvienne à l'attraper. Quand il fut à bout de forces, il s'assit sur une pierre, et après s'être un peu reposé, il se rendit chez lui, où il n'arriva qu'au grand jour.

-Je ne sais ce qu'a Blanmine, dit-il à ma tante. Elle court comme une folle sur la lande, je n'ai jamais pu l'attraper. -Blanmine! dit ma tante: elle est revenue hier soir comme à l'ordinaire; elle est dans l'étable. -Alors, dit mon oncle, c'est la Demoiselle qui m'a fait courir toute la nuit.

Il y avait à la maison d'Héauville un petit domestique nommé Luzerne qu'on envoyait le soir conduire les chevaux dans les herbages. Un jour qu'on parlait de la demoiselle d'Héauville, Luzerne demanda si elle était jolie. -Extrêmement jolie, lui dit-on. O Vraiment? Eh bien ! si je la rencontre ce soir, je lui demanderai à l'embrasser.

Là-dessus, il va conduire ses chevaux comme à l'ordinaire. Quand il vint à ouvrir la barrière, il se trouva face à face avec la Demoiselle. Non seulement il ne lui demanda pas à l'embrasser, mais il laissa ses chevaux errer comme ils voudraient et revint en courant à la maison, où il tomba sans connaissance.

Quand les demoiselles ont des proportions gigantesques on les appelle Milloraines. On ne dit pas que les Milloraines aient jamais vécu sous une autre forme. On en voit souvent plusieurs ensemble, et quand on s'en approche, elles s'évanouissent quelquefois dans les arbres avec un bruit d'ouragan. D'autres fois, elles se tiennent sur les branches comme certaines roussalki russes et s'élancent sur les passants, qui sentent un poids intolérable sur leurs épaules, mais ne voient plus rien.

Quelquefois aussi la demoiselle, au lieu de monter en croupe derrière le voyageur et de chercher à l'entraîner à l'eau avec elle, se présente à lui sous la forme d'un cheval tout sellé et bridé qui marche à côté du piéton fatigué et semble l'encourager à monter sur son dos. Si le piéton le dédaigne, le cheval disparaît au bout d'un moment, mais s'il se laisse tenter, gare à lui! il ne sera pas plus tôt en selle que l'animal partira tout d'un trait à travers les chemins creux, les fondrières, les buissons de ronces, sans hésiter jamais, puis après l'avoir bien fatigué, fondra sous lui tout à coup, le laissant au milieu d'un étang et riant aux éclats de sa mésaventure.


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