La légende de la fondation de l'abbaye de la Bénisson-Dieu [La Bénisson-Dieu (Loire)]

Publié le 11 octobre 2024 Thématiques: Abbaye | Monastère , Bateau , Baton , Choix emplacement , Fleuve | Ruisseau | RIvière , Fondation d'abbaye , Impiété , Lancé , Marin , Punition , Saint Albéric , Saint Bernard , Saint | Sainte ,

Abbaye de la Bénisson-Dieu
Abbaye de la Bénisson-Dieu. Source Jlcarves, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Noëlas, Frédéric / Légendes & traditions foréziennes (1865) (5 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Abbaye de la Bénisson-Dieu / La Bénisson-Dieu / Loire / France

Comme un miroir au soleil, reluit le toit de notre église; dans un reflet vermeil brillent les croix, les damiers, les bordures; on dirait une peau de serpent baricolée d'écailles d'argent et d'or, et, contre le bleu du ciel, monte la flèche entre ses quatre clochetons; on la voit de toute la vallée, flanquée de sa tourelle et portant sa balustrade, comme une couronne découpée à jour. Non, jamais plus beau clocher ne s'éleva sur un plus joli pays.

Les bois ont repris leur feuillée; le bouvreuil chante dans les vergers, et, sur les grands peupliers, les pies-margots bâtissent de gros nids; l'oiseau gazouille, et l'hirondelle vire, vire autour du haut clocher pointu. Doux sont les bords de la Tessonne pour le pêcheur paresseux qui jette le tramaillet ( Filet à trois pans de mailles) dans ses gours (Gouffre); doux est le temps que l'heure marque sur la cloche du vieux couvent.

– « C'est un joli pays que l'Abbaye! De bonnes terres de labour, de grands prés où paissent les bœufs blancs charolais, poisson dans la rivière, gibier au bord des bois, bons vivants autour des tables : pas moins les moines savaient choisir les bons endroits. »

Ainsi disait un digne homme, aubergiste au bourg de l'Abbaye, à l'étranger venu pour visiter l'antique église de la Bénissons-Dieu. Sa joviale figure, son ventre toujours endimanché ne juraient certes pas avec les souvenirs d'abstinence que les malins se plaisent à retrouver à l'ombre des couvents.

– « Ecoutez, disait le Bayeraud; il vient plus d'un savant chez moi je ne sais ce qu'ils aiment le mieux de la cuisine, de ma bourgeoise ou des vieux bâtiments. Je les ai vus tirer des plans, sans manquer les perdrix et les lièvres, et, s'ils s'éborgnaient les yeux à regarder les vieilleries, les jeunesses avaient aussi part à leur lorgnon....... Bah! un verre de Garambaud, et ne disons du mal de personne.

– « Voilà qui est bien raisonner, digne hôtelier, et, sans mentir, vous devez à l'église bon nombre de vos pratiques.

– « Faites excuse, je n'en dois pas mal à monsieur le curé : c'est un homme fort instruit, aimant le vieux temps et l'histoire; pour lui, un académicien loge ici un jour de plus, heureux de trouver à la cure un guide-âne complaisant. Depuis qu'il s'occupe de l'histoire du couvent, servante, sacristain, enfant de chœur n'abondent point à tourner les feuillets de ses gros livres rouges. A entendre la manière dont il parle des bâtiments détruits, il est plus chagrin que moi sur la fin d'un tonneau de vin... Bah! un autre coup de Garambaud!... Lui vous dira les beautés de l'église; ce n'est pas mon affaire, je ne veux pas m'embarquer dans cette nef, comme dit monsieur le curé.

– « Je crois, en effet, qu'une chopine bue en compagnie est plus de votre goût.

– « J'aime aussi notre église, toute réparée. La voûte du ciel n'est pas mieux maçonnée; la chapelle de la Vierge, de marbre toute pleine, est le corridor du paradis. Montons voir au clocher il y a deux cent cinquante marches, peut-être plus, peut-être moins... Ah! il y a aussi une rose de vitraux... Une rose! c'est le nom de la servante du curé.:

– « Vous allez un peu vite en description, digne homme.

– « Bah'! je ne puis virer ma langue aussi bien qu'il faudrait, et monsieur le curé vous dira le reste. Mais ce qu'il ne vous dira pas, c'est mon histoire du grand saint Bernard, et comment ce saint a bâti l'église et le couvent... Bah! encore un verre de Saint-Nizier, et je commence.

– « C'est dignement commencer.

– « Le saint bayeraud est, après saint Léonard, un des gros bonnets du paradis. Le petit saint Albéric, quoique son ami, vaut peut-être moins, selon moi; je vous dirai pourquoi tout à l'heure. Un jour ensemble, ils voyageaient par ce pays, comme deux simples pèlerins; mais ils étaient de l'autre côté de la Loire, et il fallait passer le bac, et, pour le passer, payer : c'est la fin de tout écot. Les saints n'ont pas de biens sur terre, et les pauvres avaient vidé leur bourse jusqu'au dernier denier.

– « O batelier, batelier, passe-nous dans ta barque, nous te récompenserons par nos prières.

– « Des prières, cela sonne à l'oreille du bon Dieu; mais, moi, batelier, je passe pour de l'argent. Donnez-moi votre croix et votre crosse, que je m'en fasse des avirons.

– « Intrépide (avide), dit Albéric, la croix et la crosse sont des bâtons plus longs que tu ne le penses; reçois-en le payement, » et il frappa le batelier.

– « Frère, s'écria saint Bernard, épargne ce malheureux les apôtres étaient, comme lui, pêcheurs ou bateliers. L'ami, toi, passe-nous dans ta barque cent fois je te récompenserai. »

– « Le marinier ôta son bonnet de laine, car il savait que les saints voyageaient souvent inconnus, et plus fait douceur que violence; il piqua donc de l'aviron et passa la rivière. « Pêcheur, dit saint Bernard, je t'enverrai plus de monde en un jour que tu n'eus de passagers en dix ans. Bientôt le val de la Tessonne, qui n'est maintenant que bois et marécages, deviendra un pays béni du ciel; ton bateau ne suffira plus à porter les grands personnages qui viendront visiter l'abbaye. Albéric, mon frère, pardonnez à ce chrétien !... » Bah! j'ai pris soif à passer l'eau; un verre de Saint-Nizier!

– « Oh! votre histoire mérite à boire, digne hôtelier.

– « Je vous la dirai toute maintenant... Les deux saints montèrent sur la hauteur pour voir au loin le pays: « Ah! ah! dirent-ils quand ils furent arrivés là-haut, le bel endroit, ma foi! Voilà une rivière qui se déroule tout comme un chapelet; voilà des ombrages sous lesquels il fera bon lire nones et matines; au loin sont des montagnes escarpées comme le chemin du ciel. >>

« Alors saint Albéric, toujours trop pressé, ajouta : « Ici la vue est belle, l'air est pur, la cloche du couvent se fera entendre au loin: bâtissons-y notre monastère.

– « Prions d'abord, mon frère, pour remercier le Ciel de nous avoir conduits en si beau pays, et demandons-lui où il faut construire notre pauvre maison. Ici l'eau nous manque, or la propreté est vertu des religieux. Marchons encore, je ne puis me lasser de parcourir ces bois, et plus nous avançons, plus le pays est beau à voir. »

– « Le saint dévotement fit sa prière sur la hauteur, là où depuis fut bâtie la chapelle de l'ermitage de Sainte-Marie. C'est là qu'il s'arrêta pour promener ses regards sur la vallée. Tout d'un coup, il se lève, prend sa crosse et, la montrant vers le ciel, il la jette loin, bien loin dans le val de la Tessonne... La crosse tomba au bord de la rivière en Forez (rivière de la Tessone). Saint Bernard et saint Albéric en cet endroit s'agenouillèrent, en disant: « Là, Bénissons Dieu, mes frères! » Et là furent bâtis l'église, dont le toit brille, le couvent et le clocher, dont la flèche perce le bleu du firmament. La Bénissons-Dieu devint le nom de l'abbaye et du bourg de la Tessonne.

« N'est-ce pas qu'elle est jolie, mon histoire, quoiqu'elle ne soit pas tout à fait dite aussi bien que pourrait vous la raconter monsieur le curé ?

– « En vérité, ne sais lequel est le meilleur du vin de Saint-Nizier ou du conte de saint Bernard; je recommanderai l'un et l'autre aux savants qui visiteront la belle église et, pour la description, je les adresserai à monsieur le curé. »


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