Dans la forêt du Theil, sur le bord d'un petit ruisseau dont l'eau passe pour avoir des vertus curatives, est un coin resserré, lieu de pèlerinage pour les fiévreux, et qui est connu sous le nom de la « Fosse à Gendrot ».
D'après ce qu'on raconte dans les environs, Gendrot ou Gendrin devait être un enfant du pays qui, à l'époque de la Révolution, gagnait sa vie comme domestique dans la Mayenne. Les évènements de 1793 le décidèrent à revenir à son village natal, et il entreprit ce voyage en compagnie d'un ou deux camarades. Comme ils traversaient la forêt à la tombée de la nuit, des gardes nationaux tirèrent sur eux, les prenant pour des espions des chouans. Gendrot tomba mortellement blessé, tandis que ses compagnons parvenaient à s'esquiver. Il se traîna péniblement jusqu'au ruisseau, et le lendemain il fut aperçu par un pâtour qui puisa de l'eau à la source avec son sabot, et lui donna ainsi à boire pour calmer la fièvre qui le dévorait. Il vécut ainsi, dit-on, pendant trois jours.
La première personne qui le rencontra mort fut une femme qui creusa légèrement le sol, au bord du filet d'eau, et l'ensevelit en le recouvrant d'un peu de terre et de feuilles. Le trou, creusé à la hâte, étant trop court, le corps s'y trouva déposé replié sur lui-même. Quelques semaines après la femme fut atteinte de douleurs de reins qui ne la quittèrent du reste de ses jours, et la courbèrent comme elle avait fait du cadavre de Gendrot.
On dit que jusqu'à l'époque où l'on se décida à l'enterrer convenablement, la tête reparaissait intacte en dehors du trou, en manière de protestation. Il y a une soixantaine d'années on creusa le ruisseau, et le corps mis à découvert accidentellement n'était pas décomposé.
Il n'était pas besoin d'autre chose pour que la crédulité populaire inscrivît sur son martyrologe particulier un nouveau saint qu'elle ne devait pas tarder à invoquer pour la guérison de la fièvre, puisque Gendrot était mort enfiévré.
Le clergé paroissial a essayé à différentes reprises, mais vainement, d'arrêter les visites et pratiques. superstitieuses à la fosse. On dit tout bas qu'un recteur qui avait fait enlever par sa domestique les ex-voto appendus au tombeau voisin, fut atteint de la fièvre ainsi que sa domestique, et qu'ils ne furent guéris qu'après avoir remis en place les pieux objets dont ils avaient dépouillé l'arbre de la tombe.
A ce tombeau sont fixées de nombreuses croix de toutes dimensions, la plupart fabriquées dans la forêt, au moyen de deux lamelles de coudrier maintenues l'une à l'autre par une encoche, et une ou deux petites grottes abritant une statuette de la Vierge. Au pied d'une croix plus grande que les autres et qui s'appuie à terre, et contre le tronc de l'arbre, les visiteurs déposent dans un trou creusé dans le sol des pièces de menue monnaie, que le premier pauvre venu peut s'approprier, à charge de réciter des prières. Dans les hameaux voisins, on est persuadé que la fièvre ne manquerait pas de s'attaquer à ceux qui se rendraient irrévérencieusement à la fosse ou qui enlèveraient du trou les pièces de monnaie, sans s'acquitter de l'obligation de la prière.