Admettons que nous vous ayons décrit la vallée d’Abondance, admettons même que, suspendant pour deux jours le traitement que vous suivez aux bains d’Evian, vous ayez l’idée de parcourir cette riche vallée qui s’ouvre à deux pas de l’établissement que vous fréquentez, et que vous poussiez vos investigations jusqu’à la limite du Chablais; quand vous aurez visité le chef-lieu du canton qui donne son nom à la vallée, vous vous acheminerez vers la commune de La Chapelle, qui n’est pas la moins riche ni la moins pittoresque de ces parages.
Entre Abondance et La Chapelle, un groupe de rochers, composé de quatre blocs, marque les limites des deux communes. Ce groupe, en grande vénération dans la contrée, est considéré comme un monument druidique. Au-dessus de trois de ces blocs, qui forment comme on piédestal, surgit un quatrième bloc de deux mètres de hauteur. On croit distinguer, gravés sur une de ses faces, des caractères et des sujets. Les habitants nomment ce bizarre monument la Synagogue; ils lui ont fait une réputation équivoque. Ajoutons que la montagne voisine est percée de plusieurs grottes, palais mystérieux d’esprits de l’autre monde, particulièrement de jeunes fées.
La Revue savoisienne nous entretenait un jour de ce groupe de rochers et du culte donc il était l’objet. Les femmes qui désiraient devenir mères devaient faire aux jeunes divinités qui hantaient ces lieux des offrandes consistant en comestibles. Les fées sont éminemment gourmandes. Si les présents déposés le soir avaient disparu le lendemain matin, la demande était agréée. Dans le cas contraire, il ne restait plus d’espoir aux suppliantes.
Pour détruire disent les uns cette antique dévotion à un culte qui n’est pas le vrai; pour en tirer parti à leur profit particulier, disent les autres, – les moines d’Abondance érigèrent en ce lieu un oratoire en l’honneur de sainte Anne, qui a l’oreille habituée à des supplications de cette nature, et l’on continue les mêmes prières avec un égal succès.