L’histoire attribue la fondation du château de Féternes aux premiers princes Bourguignons. Il eut différents maitres; le dernier, en temps que seigneur, fut Hippolyte Regard, marquis de Lucinge, dont le caractère chevaleresque, les goûts artistiques et les habitudes un peu plus que débraillées ont laissé des souvenirs profonds dans l’esprit de la population.
Néanmoins l’histoire est peu prolixe à l’endroit de ce manoir. En revanche, la légende et les traditions ne gardent aucune réserve, et elles ne s’accommodent nullement des origines dont se contentent les historiens les plus exigeants. […]
Le château de Féternes […] est l’oeuvre de trois fées, qui ont laissé leur nom : Fadae Ternae, nom qui est aussi celui d’une grotte voisine : la Grotte des Fées. Dans ce repaire souterrain où nul mortel n’aurait osé pénétrer et que reliait au château un passage secret, les trois fées avaient entassé l’immenses richesses confiées à la garde d’une troupe de génies infernaux, qui avaient revêtu la forme de chats monstrueux, le tout avec accompagnement obligé de hiboux et de chauves-souris.
Un beau jour, il advint que deux des fées moururent; puis la troisième les suivit bientôt dans la tombe. Mais avant de quitter ce monde, Fébis (Faga bisa, fée noire), tel était son nom, fit venir près d’elle un de ses arrières petits-fils, issu d’un fils illégitime qui fut la souche de la famille de Féternes. Après lui avoir révélé que les grottes renfermaient des trésors considérables, elle ajouta : « Pour devenir le dominateur absolu de ces contrées, il le suffira de prononcer la formule que lu vois écrite sur le parchemin attaché à cette clé; prononce ces paroles, et tu seras possesseur des trésors renfermés dans le tombeau des fées !…
Cet héritier des fées accepta le legs de son arrière-grand’mère; mais au lieu d’en faire un coupable usage, il vécut saintement, se tenant en garde contre les séductions du malin esprit; jamais il ne fut tenté d’ouvrir la grotte merveilleuse. La clé passa donc intacte de génération en génération jusqu’au moment où Robert d’Arbigny en devint possesseur. Frère de Guillaume, seigneur de Féternes, Robert s’éprit tout á coup des charmes de dame Aymonette, sa belle-soeur, et réussit à lui faire partager sa coupable passion. Dès lors la perte de sire Guillaume fut décidée; après avoir lâchement assassiné son frère, Robert épousa sa complice; en même temps, il entra en possession de la fameuse clé. Dévoré de l’amour du luxe et des jouissances mondaines, il profita bientôt de ce magique talisman. Mais il fallait prononcer la terrible formule; dame Aymonette, que les remords commençaient à assaillir et qui mourut repentante à quelque temps de là, ne voulut jamais consentir à commettre cet acte impie : seul Robert prononça la formule : « Je me donne, dit-il, au dieu Fabulo, le corps et l’âme avec, et j’en fais le jurement solennel sur les reliques de mesdames les Fées-ternes. »
Riche, puissant, dominant tous les seigneurs de la contrée, Robert réussissait dans toutes ses entreprises ; il voyait ses moindres caprices satisfaits. Cependant, il devait essuyer un échec en cherchant à séduire une vertueuse dame Alice, femme du baron Raoul de Blonay, qui habitait le château de Maxilly, situé sur les bords du lac, à deux lieues de Féternes.
Robert, inspiré par Satan, tendit à Raoul un piège où il espérait le faire périr. Mais bien qu’il eût fait alliance avec les esprits infernaux qui, sous les dehors de la race féline, gardaient les trésors des fées; bien qu’il eût eu recours à toutes les ruses, à tous les enchantements diaboliques; bien qu’il eût évoqué des spectres hideux et qu’il eût pris lui-même la forme d’un chat monstrueux à la fourrure hérissée, aux yeux flamboyants; bien que la forêt que devait traverser Raoul fût dévorée par un incendie aux fauves lueurs, ce fut lui, Robert, qui, après avoir vu ses alliés mis en fuite, tomba sous les coups du brave chevalier, évidemment protégé par le Ciel.
Dès que parut l’aube, la forêt envahie la veille par les flammes se montra verte et rafraichie: par la rosée. Mais les soldats de Raoul, en faisant leur ronde accoutumée, trouvèrent le corps inanimé de Robert d’Arbigny.
Le jour même, on enfouissait dans les abîmes de la Dranse la funeste clé qui donnait entrée dans la caverne des fées. Depuis lors, les immenses trésors sont demeurés là inutiles ; mais il ne manque pas de gens qui y pensent et qui essaient encore de les découvrir.
Le moyen est bien simple, – dirons-nous à notre tour, nous qui connaissons le propriétaire actuel de celle grotte merveilleuse, – le moyen est bien simple d’acquérir des trésors. Pas besoin de se vendre au diable; faites du bon pain, vendez-en beaucoup, jamais à faux poids; puis passez épicier, vendez de la chandelle dans les mêmes conditions; vous deviendrez bientôt conseiller municipal, maire si cela vous agrée, et enfin propriétaire de tous les terrains qui se vendent par voie judiciaire sur le territoire de Féternes, pendant que votre voisin en fera autant sur le territoire d’une autre commune voisine.