La légende de la cloche d’Éguisheim [Herrlisheim-près-Colmar (Haut-Rhin)]

Publié le 21 juillet 2022 Thématiques: Amour , Château , Chevalier , Cloche , Croisade , Mariage , Mort , Noblesse , Princesse , Retour ,

La tour de la ville
La tour de la ville. Source © Ralph Hammann – Wikimedia Commons, CC BY-SA 4.0, via Wikimedia Commons
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Source: Laurent J.J. / Les légendes de l’Alsace (1865) (4 minutes)
Lieu: Château (détruit) / Herrlisheim-près-Colmar / Haut-Rhin / France

Lorsque la foi, non moins que la valeur, D’un noble sang paraissait l’apanage, Pour sa ferveur et son brillant courage, De Herrlisheim on vantait le seigneur. Ces deux vertus, si l’on en croit l’histoire, Des Schauenbourg ont toujours fait la gloire. Quant à Walther, aux grâces de l’esprit , Aux dons du cœur, aux biens, à la noblesse , Il unissait, la chronique le dit, Tous les trésors de l’aimable jeunesse.

Sur la montagne, en face d’Herrlisheim, Croissait alors, au château d’Éguisheim, Près de sa mère, une charmante fille, Odette, aussi pieuse que gentille. Dès le berceau destinée à Walther, Nul autre soin n’occupait sa pensée; Lui-même, épris de cet objet si cher, Il adorait sa belle fiancée. Aussi , dès que leur âge le permit , Un saint prélat devant Dieu les unit; Et le clocher de l’antique chapelle , Par ses éclats, son joyeux carillon, De leur hymen, à la plaine, au vallon, Partout enfin, annonça la nouvelle.

Il faut savoir que la cloche d’argent , Dont, aux grands jours, la voix claire et sonore, Pour célébrer le retour de l’aurore, Au ciel jetait ses trilles et son chant; Que ce bourdon, religieux présent D’un Schauenbourg, avait, sur sa prière, Reçu jadis, par faveur singulière , Le don divin, le merveilleux pouvoir, De révéler, jusqu’au bout de la terre, Au maître absent, en voyage, à la guerre, Tous les secrets de son lointain manoir. Moins prompt vingt fois est le courrier magique Que nous lançons sur le fil électrique; Car un projet n’était point arrêté, Que le battant déjà l’avait conté.

Or, en ces temps, devers la Palestine, De mer en mer, de colline en colline, Se dirigeaient, de tous points rassemblés, Maints chevaliers, sous la croix enrôlés ; Et, pour se joindre à la troupe sacrée, Après vingt mois d’union, de bonheur, Walther quitta son épouse navrée, Le cœur saignant de sa propre douleur. Dans maint assaut, dans cinquante batailles, Il fit longtemps éclater sa valeur; Il n’était point d’escadrons, de murailles, Qui de son bras soutinssent la vigueur. Mais à la fin ce courage invincible, A la prudence, au doute inaccessible, Du sort, toujours dans ses faveurs jaloux, Sur notre preux attira le courroux. Un jour, poussant les vaincus dans leur fuite, Et, loin des siens, sur leurs pas emporté, Sans ralentir son ardente poursuite, De leur camp même il franchit la limite , Et, seul, par tous il se vit arrêté.

Depuis sept ans, dans un dur esclavage, Sans nul espoir d’un meilleur avenir, Il languissait; ni lettre, ni message A ses amis n’avaient pu parvenir. On le dit mort, on pleura sa mémoire : De ce trépas, plein de deuil et de gloire, Le bruit fatal partout se répandit. Odette même, à ce triste récit Qui ne pouvait, qui ne voulait point croire, Au cri public à la fin se rendit. Jusqu’à ce jour, Pénélope nouvelle , Et, pour le moins, aussi sage, aussi belle Que la première, elle avait bien longtemps Su contenir ses nombreux prétendants ; Mais, depuis lors, par sa mère priée De désigner pour son fils un tuteur, Par ses vassaux ,genoux, suppliée De leur donner un nouveau protecteur , De ces devoirs la touchante victime, Pour son seigneur, pour chef de sa maison, Sans autre amour qu’une pieuse estime, Du Schrankenfels choisit le vieux baron.

Pour cet hymen la chapelle est parée, La grande salle au donjon préparée ; Et dès l’aurore, on voit, de tous côtés, En fiers atours, en pompeux équipages, Tous entourés d’écuyers et de pages, Vers le château courir les invités….. Et toi, Walther, dans la prison obscure, Les fers aux pieds, sans air, sans nourriture, Tu ne trouvais de trêve à tes ennuis, Qu’en rappelant à ton âme oppressée Ces deux objets si doux à la pensée, Ta jeune Odette et ton petit Louis!… Mais je te vois frémir, tendre l’oreille ; Quel son te frappe el quel bruit le réveille? Quelle pâleur sur les traits se répand ?… L’entendez-vous ? c’est la cloche d’argent Qui, balancée au haut de la tourelle, De son malheur lui porte la nouvelle…. Mais non, grand Dieu, vous ne permettrez pas Que ce chrétien, dont l’héroïque bras, Pour votre croix, votre tombe brisée, A soutenu tant de rudes combats, Du monde entier devienne la risée, Non, rien qu’un signe, et Walther est sauvé !…

L’hymen fatal n’était point achevé; Les fiancés s’avançaient vers l’église, Tous deux suivis de leurs vassaux joyeux, Sylvestre, l’oeil et le front radieux, La triste Odette à son destin soumise Quand tout à coup, sur le seuil de la cour, Walther parait ; de sa poudreuse armure Et du cimier dégageant sa figure, « Odette, ô ciel! quel accueil ! quel retour! « Pour ton époux c’est donc là ton amour!» Il dit, Odette, à cette voix si chère, Toute tremblante et de joie et de peur, Tombe en pleurant dans les bras de sa mère : « Ô mon Walther, dit-elle , à ma pâleur, « Tu vois combien cette fête maudite… « Mais est-ce toi, mon ami, mon époux ? « Ah! qui te rend à mon âme interdite? « C’est Dieu lui-même ; oui, voilà de ses coups! » Puis elle court, au travers de la foule , Qui devant elle et se rouvre et s’écoule , Du revenant embrasser les genoux…..

Est-il besoin d’achever cette histoire , Et, tout d’abord, n’avez-vous pas compris Ce qu’il advint de nos héros surpris ? Laissons-le donc au fond de l’écritoire, Sans autre effort d’esprit ou de mémoire ; Quant aux voisins, aux parents, aux amis, Vous l’avez vu, le couvert était mis, Le vin tiré, l’on n’avait qu’à le boire


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