Une vieille Anglaise, de la petite ville de Barklay, dans le comté de Glocester, exerçait en secret, au onzième siècle, la magie et la sorcellerie avec grande habileté. Elle s'était pour cela vendue à Satan, par un pacte en règle. Un jour, pendant qu'elle dînait, une corneille qu'elle avait auprès d'elle et dont personne ne soupçonnait l'emploi, lui croassa je ne sais quoi de plus clair qu'à l'ordinaire. Elle pâlit, poussa de profonds soupirs et s'écria:
– J'apprendrai aujourd'hui de grands malheurs. A peine achevait-elle ces mots, qu'on vint lui annoncer que son fils aîné et toute la famille de ce fils étaient morts subitement. La corneille, dit-on, était le démon qui la servait et qui à la fois la surveillait, suivant les usages diplomatiques des puissances infernales.
Pénétrée de douleur, la sorcière assembla ses autres enfants, parmi lesquels étaient un bon moine et une sainte religieuse; elle leur dit en gémissant :
– Jusqu'à ce jour, je me suis livrée, mes enfants, aux arts magiques. Vous frémissez; mais le passé n'est plus en mon pouvoir. Je n'ai d'espoir que dans vos prières, car dès ce moment je ne suis plus à moi. Je sais que les démons sont à la veille de me prendre; je l'ai mérité par mes crimes. Je vous prie, comme votre mère, de soulager les tourments qui me sont préparés et que j'endure déjà. Sans vous, ma perte me paraît assurée, car je vais mourir dans un instant. Je n'ai plus le temps de me reconnaître. Renfermez mon corps, enveloppé d'une peau de cerf, dans une bière de pierre recouverte de plomb, que vous lierez par trois tours de forte chaîne. Peut-être Satan sera-t-il impuissant contre ces obstacles, pendant que vous conjurerez Celui qui peut tout. Si, pendant trois nuits, je reste tranquille, vous m'ensevelirez la quatrième, quoique je craigne que la terre ne veuille point recevoir mon corps. Pendant cinquante nuits, chantez des psaumes pour moi, et que pendant cinquante jours on dise des messes....
Ses enfants, troublés, exécutèrent ses ordres; mais ce fut sans succès. La corneille, qui évidemment n'était qu'un démon, avait disparu.
Les deux premières nuits, tandis que les clercs chantaient des psaumes, les démons enlevèrent, comme si elles eussent été de paille, les portes du caveau, et emportèrent les deux premières chaînes qui enveloppaient la caisse de pierre; la nuit suivante, vers le chant du coq, tout le monastère sembla ébranlé par les démons qui entouraient l'édifice. L'un d'entre eux, le plus terrible, parut avec une taille colossale, et réclama la bière. Il appela la morte par son nom, il lui ordonna de sortir.
– Je ne le puis, répondit le cadavre, je suis liée.
– Tu vas être déliée, répondit Satan.
Et aussitôt il brisa comme un fil léger la troisième chaîne de fer qui restait autour de la bière; il découvrit d'un coup de pied le couvercle pesant, et prenant la morte par la main, il l'entraîna en présence de tous les assistants.
Un cheval noir se trouvait là, hennissant fièrement, couvert d'une selle garnie partout de crochets de fer; les démons y placèrent la malheureuse, et tout disparut.
On entendit seulement dans le lointain les derniers cris de la sorcière; et les assistants comprirent qu'il n'est pas bon de faire alliance avec le diable.