Plusieurs jeunes gens, garçons et filles, d'un village de Kerlouan, revenaient un soir d'une ferme de Plounéour-Trez où ils étaient alles faire la veillée.
Deux par deux, les doigts emmêlés, ils marchaient en étourneaux peu pressés de rentrer au nid, riant, chantant, saluant la lune de iou iou prolongés, se soufflant dans le cou, faisant mille folies.
Comme ils arrivaient sur la lande qui sert de lisière aux deux paroisses, le son d'un biniou se fit entendre. – A merveille! dit l'une des filles, il nous manquait un sonneur, appelons celui-ci, il nous fera danser ! Le gros de la bande applaudit. Va bien. Le sonneur se prête de bonne grâce au désir des écervelés. On danse une gavotte, on en danse deux, puis une autre, puis une autre encore. Les jambes semblent infatigables. - Une ronde maintenant!
Tout à coup, retentit le bruit d'une sonnette. De mieux en mieux ! voilà un musicien de plus qui nous arrive, dit un danseur. - Avec un falot pour éclairer la fête, ajoute un second. - Et un servant qui a sans doute quelque bonne bouteille au fond de son sac, crie un troisième.
Le bruit se rapprochait, la lumière aussi, et la troupe joyeuse pût bientôt apercevoir, à quelques pas d'elle, le recteur de Plounéour qui, précédé de son bedeau, portait les derniers sacrements à un malade.
Vit-on jamais plus horrible sacrilege ? les danseurs, à l'exception de trois, ne s'arrétèrent pas. Le prêtre s'avança vers eux : ils lui barrèrent le passage. Le prêtre voulut parler : leurs chants et leurs cris étouffèrent sa voix.
Dieu juste! un pareil crime ne pouvait rester impuni: le tonnerre éclate et danseurs et danseuses, le sonneur avec eux, tous ceux qui avaient pris part à l'horrible profanation, tous, frappés du même coup, sont changés en pierres, sous les yeux de leurs compagnons glacés d'effroi.
Pendant des centaines et des centaines d'années on a pu voir ces pierres se dresser sur la lande [au lieu dit mechou ann danserien ( pièce de terre des danseurs)], comme un vivant témoignage de la colère divine. Elles formaient une sorte de cercle [un cromlech], la plus grosse plantée au milieu. Parmi les gens du pays il en est plusieurs qui, sans être tout à fait des vieillards, se souviennent encore de leurs terreurs d'enfants quand ils passaient près d'elles. Souventes fois on avait tenté, mais vainement, de les enlever pour les utiliser comme matériaux. Le fer s'émoussait sur leurs têtes chenues. Parvenait-on à les renverser, elles se relevaient toutes seules. Un jour, cependant, des tailleurs de pierres réussirent, au prix de mille efforts, à charger la plus petite sur une voiture et à la transporter à une certaine distance. Quand, après avoir cassé une croûte, pour se donner du cour, à quelques pas de l'endroit où ils l'avaient mise à terre, ils revinrent pour jouer du marteau, ils ne la trouvèrent plus. Elle était allée reprendre la place qu'elle occupait précédemment. Un matin la nouvelle se répandit que les pierres maudites avaient disparu. C'était la vérité. Malgré les recherches auxquelles on se livra, on n'a jamais pu savoir ce qu'elles étaient devenues. Tout porte à croire qu'elles sont tombées dans le puits de l'enfer.