Le roi Salomon avait reçu de Dieu le don d'entendre tout ce qui se passait dans son royaume, et comme il pouvait se transporter d'un bout du monde à l'autre sur son tapis magique, il allait partout où l'on avait besoin de lui.
Un jour qu'il était tranquillement assis sur son trône à Jérusalem, il entendit une voix lointaine qui disait: "O, notre Seigneur, viens à notre secours. Les gens de Cherchêl ont bien besoin de toi."
La voix était si lamentable que le roi sentit qu'on avait en effet bien besoin de lui, et il se rendit donc à Cherchêl sans plus de délai. Son tapis magique le déposa à la porte de la ville, qui était en ruines, et presque déserte. Salomon contempla la désolation générale, puis il se tourna vers un vieil aigle perché sur un bloc de granite, et lui demanda ce qui avait causé la ruine d'une si belle ville.
L'aigle, qui avait plus de deux cents ans, déclara qu'il ne le savait vraiment pas, car la ville avait toujours été à peu près dans le même état depuis qu'il était au monde, mais à la prière de Salomon il alla chercher son vieux père. Celui-ci arriva, clopin-clopant, car il n'avait pas moins de huit siècles.
Quand le roi le questionna, il dit que la ville avait été envahie par une troupe de barbares, qui avaient tué presque tous les habitants.
"Pourquoi les habitants de Cherchêl ont-ils demandé mon secours?" continua le roi.
"Les voici," répliqua l'aigle, "ils vous diront tout ; et il s'envola lentement. Salomon se tourna alors, et vit quelques vieillards, qui s'approchaient de lui en tremblant. Il leur demanda la cause de leur douleur, et leur promit son aide.
Le plus âgé prit donc la parole, et dit: "Monseigneur, nous avons seulement quelques puits dans la ville. Ils ne donnent pas assez d'eau pour satisfaire à tous nos besoins, et tous les jours nos femmes et nos enfants vont à une source en dehors de la ville pour y puiser de l'eau. Il arrive cependant qu'un redoutable serpent a pris possession de cette source, et maintenant personne ne peut en approcher sans être mis à mort. Nous souffrons cruellement de soif, nos armes n'ont aucun effet sur le monstre, et nous périrons si vous ne nous secourez pas.
Salomon, touché de leur malheur, alla trouver le serpent, et lui dit: "Serpent, pourquoi t'es-tu emparé de cette source, qui est indispensable aux gens de la ville? Pourquoi surtout as-tu mis à mort les femmes et les enfants qui y venaient puiser de l'eau?"
Le serpent répondit: "J'ai fait tout cela seulement par nécessité. Je demeurais dans une autre source, elle est tarie maintenant, et celle-ci est la seule dans tout le pays où il y ait assez d'eau pour satisfaire à ma soif. Je suis tout prêt à partir, cependant, si vous, qui savez tout, voulez bien m'indiquer une autre source et me donner l'assurance qu'il ne me sera fait aucun mal."
Salomon répondit qu'il réfléchirait à l'affaire, et retourna à la ville. Arrivé là, il dit à un de ses serviteurs :
"Va chercher un coq, tue-le, et donne m'en la tête!" L'homme obéit, et Salomon plaça la tête du coq sous les amples plis de son turban avant de retourner à la source. Le serpent le vit approcher et dit: "Eh bien, Salomon, avez-vous réfléchi? Etes-vous prêt à me donner l'assurance qu'il ne me sera fait aucun mal?" Le roi dit gravement: "Il ne te sera pas fait autre chose que ce qui a été fait à la tête placée sous mon turban."
Le serpent, qui croyait qu'il était question de la tête du grand roi, le suivit donc tranquillement quand il lui dit qu'il allait le mener à une autre source. Ils marchèrent ainsi bien des lieues, le serpent rampant après le roi, qui, étonné de sa longueur démesurée, lui demandait de temps en temps: "Eh bien, ta queue n'est-elle pas encore hors de la source?"
"Non pas encore," répondait le serpent. Enfin ils arrivèrent à une grande distance de la ville de Cherchêl, et le serpent annonça que les derniers replis de sa longue queue étaient hors de l'eau. Alors Salomon lui montra une petite mare, dans le désert, où il lui commanda de s'établir.
Le serpent, indigné, lui tourna le dos avec mépris, et se préparait à regagner sa demeure, quand Salomon tira son cimeterre, et lui trancha la tête d'un seul coup en disant: "C'est ainsi qu'on a coupé la tête de coq qui est sous mon turban!”
Le serpent était si long (on dit qu'il n'avait pas moins de trente-quatre mille mètres), que son sang forma un lac. Cette pièce d'eau est connue sous le nom de Halloula, et forme une espèce d'oasis au milieu du désert de la Mauritanie.