Il était une fois un maréchal-ferrant qui s'appelait Fanchi et qui avait sa forge au bourg de Caouennek. Il cultivait de plus quelques arpents de terre, attenant à sa forge, et il trouvait moyen de nourrir deux ou trois vaches. Il aurait dû être à l'aise dans ses affaires, car il travaillait avec courage. Malheureusement sa femme était un puits de dépenses. L'argent que Fanchi lui remettait, il ne le revoyait plus, sans qu'il pût savoir à quoi il avait été employé. Il ne se doutait pas, l'excellent homme, que Marie Bérec'h, sa triste moitié, tandis qu'il peinait à l'enclume, passait son temps à commérer d'auberge en auberge, et à payer du mi-camo, c'est-à-dire du café « salé avec de l'eau-de-vie », à toutes les Jeannettes du voisinage.
Fanchi avait un apprenti, nommé Louiz, qui était dans sa maison depuis nombre d'années et en qui il avait grande confiance.
Un soir, il dit à l'apprenti :
– Sois de bonne heure sur pied demain matin. Marie Bénec'h prétend que sa bourse est vide. Nous irons à la Roche-Derrien vendre la vache rousse. C'est la « foire du chaume » (foar-ar-zoul), nous en trouverons peut-être un bon prix.
La vache rousse fut, en effet, bien vendue. Trois cents écus sonnants, sans compter les arrhes.
Comme Louiz et Fanchi s'en revenaient vers Caouennek, l'apprenti dit au maître :
– A votre place, je ne donnerais pas cet argent à Marie Bénec'h, en une seule fois. Je le ramasserais dans un tiroir et je ne m'en séparerais qu'au fur et à mesure des besoins du ménage.
– C'est une heureuse idée, répondit Fanchi, qui n'avait jamais pensé à cela.
Rentré chez lui, il mit les trois cents écus, rangés en plusieurs piles, dans une grosse armoire de chêne dont il fourra la clef sous son traversin.
Mais son manège n'avait pas échappé à l'œil de Marie Bénec'h. Dès qu'elle entendit ronfler son mari que cette journée de foire avait harassé, elle se leva discrètement, déroba la clef, courut à l'armoire, et fit râfle de l'argent.
Qui fut bien attrapé le lendemain? Ce fut Fanchi, le forgeron.
Ses soupçons se portèrent aveuglément sur son apprenti.
– Louiz, s'écria-t-il, pâle de colère, j'ai suivi ton conseil. Voilà ce qui m'en revient. Rends-moi mes trois cents écus.
– Je ne les ai pas pris.
– Tu nies? Soit. Tu vas de ce pas m'accompagner à Saint-Yves-de-la-Vérité !
– Je suis prêt à vous accompagner partout où il vous plaira.
Ils se mirent en route.
Quand ils furent arrivés à la porte de l'oratoire, le maréchal prononça les paroles consacrées. Le saint inclina la tête par trois fois, pour montrer qu'il avait compris et aussi pour déclarer qu'il allait faire justice.
Fanchi regagna Caouennek, soulagé. Quant à Louiz, qui avait été allègre au départ, il ne le fut pas moins au retour.
A l'entrée du bourg, Fanchi lui dit :
– Tu penses bien que d'ici longtemps nous ne travaillerons plus ensemble.
– A votre gré, maître, répondit Louiz. J'estime cependant qu'avant peu vous aurez reconnu que ce n'est pas moi le coupable.
Ils se séparèrent.
Marie Bénec'h guettait son mari du seuil de la forge.
– Où as-tu été? lui demanda-t-elle.
– A Saint-Yves-de-la-Vérité.
– Quoi faire?
– Vouer à la mort, dans un délai de douze mois, la personne qui m'a volé mes trois cents écus.
– Ah! malheureux! malheureux! s'écria Marie Bénec'h, qui déjà avait au cou la couleur de la mort. si du moins tu m'avais prévenue! tes trois cents écus n'ont pas été volés. C'est moi qui les ai pris, cette nuit, pendant que tu dormais. Retournons vite défaire ce que tu as fait.
– Il est trop tard, femme. Par trois fois le saint a incliné la tête.
A partir de ce jour, Marie Bénec'h ne fit en effet que languir, et, les douze mois écoulés, elle mourut.
(Conté par Marie-Hyacinthe Toulouzan. Port-Blanc.)