Il y avait une fois un capitaine de Saint-Cast qui sortit du port de Saint-Malo pour se rendre à Terre-Neuve. Comme il passait près du Légeon, il vit sur le rocher un homme qui appelait au secours. Il fit aussitôt mettre la chaloupe à l'eau et le naufragé fut amené à bord.
En ce temps-là il n'y avait pas de vent sur la mer, et les navires étaient obligés d'aller dans le sens du courant, ou bien on les faisait marcher à force de rames. On avait jeté l'ancre pour recueillir le naufragé, et le capitaine dit à ses matelots d'aller se coucher en attendant que la marée permît de recommencer la route. Il se trouva alors seul avec l'homme qu'il venait de sauver, et celui-ci lui dit:
-Où allez-vous, capitaine?
-A Terre-Neuve.
-A Terre-Neuve je ne vous vois pas arrivé.
-J'arriverai avec le temps, et j'espère faire une bonne année.
-Je puis vous porter chance, dit le naufragé ; mais il faut que pour cette fois, vous renonciez au voyage de Terre-Neuve.
-Quelle idée avez-vous là ! s'écria le capitaine, si je ne vais pas au banc, que deviendront ma femme et mes enfants?
-Ils n'y perdront rien, bien au contraire; ramenez-moi à Saint-Malo et je vous enseignerai mon secret.
Le capitaine fit lever l'ancre et revint à Saint-Malo. Le naufragé lui dit alors:
-Vous avez entendu parler des vents, capitaine ?
-Oui, et j'ai même ouï dire que le roi donnerait son plus beau vaisseau au marin qui pourrait les amener sur l'Océan.
-Hé bien si vous voulez m'écouter, c'est vous qui aurez le beau vaisseau du roi. Vous allez partir pour le pays des vents, et ils vous suivront; mais auparavant, il faut que je vous dévoile mon secret. Lorsque j'étais sur le rocher, je me serais bien sauvé tout seul si j'avais voulu, car je suis un saint puissant et je m'appelle saint Clément; mais j'ai voulu voir si vous aviez bon cœur, et, puisque vous m'avez secouru, il est juste que je vous récompense. Approchez votre bouche de la mienne.
Le capitaine obéit, le saint lui souffla dans la bouche et lui dit :
-Depuis que les vents sont vents, c'est moi qui les gouverne et ils m'obéissent. Quand vous serez en leur présence, vous n'aurez qu'à siffler, et il vous obéiront comme à moi. Vous les ferez monter à votre bord, et quand ils seront sur l'Océan, vous aurez le beau navire du roi.
Le capitaine remercia le saint, qui disparut aussitôt. Il partit pour le pays des vents, et il fut longtemps à aller, car les marées n'étaient pas toujours favorables et les matelots se lassaient de ramer sans cesse. Enfin on arriva au pays des vents. Le capitaine descendit à terre, et quand il fut en présence des vents, il dit à Nord, leur chef: -Capitaine, il y a longtemps que vous êtes dans ce pays, ainsi que vos matelots; j'ai reçu l'ordre de vous emmener ailleurs et je viens vous chercher.
Nord, qui ne voulait pas suivre le capitaine, se mit en colère, et lui et tous ses matelots soufflèrent sur le pauvre capitaine, qu'ils faisaient tourbillonner en l'air comme une feuille morte. Il se rappela alors le pouvoir que lui avait donné saint Clément, et il siffla de toute sa force; aussitôt les vents s'apaisèrent, devinrent doux comme des moutons, et le suivirent à bord.
Le navire ne mit pas grand temps à se rendre en France, car les vents soufflèrent constamment sur les voiles; on marchait aussi bien de flot que de jusant, et les matelots étaient joliment contents de n'avoir plus à tirer sur les avirons.
Le capitaine débarqua les vents à terre; ils se dispersèrent sur l'Océan, où depuis ils ont toujours soufflé, et grâce à eux les matelots n'ont plus besoin de ramer pour faire avancer les navires.
Le roi de France était bien content; il fit venir le capitaine et lui donna son plus beau vaisseau. Le capitaine cessa de naviguer peu de temps après, et il resta à vivre à Saint-Cast, avec sa femme et ses enfants. En reconnaissance du service que saint Clément lui avait rendu, il fit placer sa statue dans l'église paroissiale où elle est toujours restée depuis.