[L'ofern drantel est une messe qui a lieu à la chapelle Saint-Hervé et qui suit 29 autres messes célébrées pour le repos d'un défunt (une trentaine). C'est une messe qui réunit tous les défunts passés et tous les diables.]
[...] Tadik-Coz était un maître pour célébrer l'ofern drantel. On prétend que, depuis qu'il est mort, il n'y a plus de prêtre qui sache la dire.
Il fit une fois un de ces miracles qui ne sont possibles qu'à Dieu.
Il venait de célébrer la messe de trentaine pour un défunt de Tréglamus. Or, en passant la revue des démons, il vit que l'un d'eux tenait entre ses griffes l'âme de ce défunt. Un autre que Tadik-Coz se fût dit:
– Le mort est dûment damné; il n'y a plus rien à faire.
Mais Tadik-Coz était un gaillard qui ne se décourageait pas aisément. Je crois bien que, pour sauver une âme, il aurait été nu-pieds jusqu'en enfer.
– Hé, l'ami! dit-il au démon, tu as l'air bien fier de ce que tu tiens là! Franchement, il n'y a pas de quoi t'enorgueillir à ce point. J'ai connu le défunt, quand il était encore de ce monde. Un pauvre hère, en vérité! Il a déjà eu tant de misère pendant sa vie, que ton enfer lui apparaîtra presque comme un lieu de délices. Quand on a pâti comme lui sur la terre, on n'a pas grand chose à craindre, même d'une éternité de tourments.
– C'est un peu vrai, répondit le démon. Je n'ai aucun plaisir à le vexer. Et, ma foi, je ne demanderais pas mieux que de faire un échange.
– Je te le propose, cet échange.
– Quel âme me livreras-tu à la place?
– La mienne..., mais à une condition!
– Parle.
– Voici vous autres, diables, vous passez pour être très fins. Moi, de mon côté, à tort ou à raison, je ne me considère pas comme un imbécile. Gageons que tu ne me mettras pas à court!
– Soit.
– Entendons-nous bien, n'est-ce pas? Si je perds, mon âme est à toi; si je gagne, elle me reste. Dans les deux cas, celle que tu détiens ne t'appartient plus. Commence par la lâcher.
Le diable desserra ses griffes. L'âme du défunt de Tréglamus s'envola, légère, en souhaitant mille bénédictions à Tadik-Coz.
– Allons! reprit celui-ci, j'attends!
Le diable se grattait l'oreille.
– Eh bien! dit-il à la fin, fais-moi voir quelque chose que je n'ai pas encore vu.
– Ce n'est que cela! Au moins, tu n'es pas difficile à contenter.
Tadik-Coz mit la main à la poche de sa soutane et en sortit une pomme et un couteau. Avec le couteau, il coupa en deux la pomme. Puis, montrant au diable interloqué l'intérieur du fruit.
Et, comme le diable ne paraissait pas comprendre, il ajouta :
– Tu as sans doute vu l'intérieur de bien des pommes, mais l'intérieur de celle-ci, tu ne l'avais certainement pas encore vu!
Le démon demeura penaud; il dut s'avouer vaincu, et Tadik-Coz rentra dans son presbytère de Bégard en se frottant joyeusement les mains.
(Conté par Naïc Fulup du Hinger-Vihan, en Pédernek, 1889).