Les seigneurs de Gimel alignaient leurs tombeaux à Saint-Etienne-de-Braguse, autour de la chapelle sainte édifiée autrefois par la piété de saint Dumine qui vivait, [...] dans une grotte voisine. La légende raconte que ce saint, appartenant à une famille opulente, avait embrassé le métier des armes.
A la mort de son père, il avait quitté le service du roi pour se retirer auprès de sa vieille mère qu'il ne voulait pas laisser dans l'isolement. C'était au temps où, sur les bords de la Vienne, une biche d'une merveilleuse grandeur sortit tout à coup d'un bois et indiqua au roi Clovis un gué qu'il cherchait en vain; c'était aussi le temps où, pour éclairer une marche nocturne du même roi, un globe de feu s'alluma miraculeusement au sommet de l'église de Saint-Hilaire de Poitiers.
Les circonstances étant devenues critiques, Dumine avait dû reprendre son épée et rejoindre l'armée de Clovis dans la plaine de Vouillé où le roi «les Wisigoths trouva la défaite et la mort. Le guerrier, son devoir accompli, s'empressa de revenir auprès de sa mère, mais l'ennemi s'en était saisie et l'avait emportée. Après bien des recherches, Dumine la retrouva, mais morte et les mamelles coupées. Alors, dans son désespoir, que sa piété même ne pouvait calmer, il prit le cilice et voyagea. On sait qu'il se rendit à Rome et qu'il visita ensuite Jérusalem, mais on ne peut expliquer comment il fut retrouvé un jour errant dans les solitudes de Gimel, dans cet Inferno où il avait choisi, pour y vivre, l'étroite grotte du rocher de Braguse.
A la cime du promontoire il érigea un modeste oratoire qui, au XVIe siècle, abrita sa sépulture. Cet oratoire, rebâti, devint une église paroissiale.
Les femmes n'y eurent point accès, raconte Bonaventure de Saint-Amable dans les Annales du Limousin. D'ailleurs, leur rôle à Braguse fut toujours néfaste, si l'on en croit les vieilles légendes. D'après elles, une des cloches du campanile s'étant un jour détachée, avait roulé jusqu'au gouffre béant au bas de la falaise. A grand'peine on était parvenu à la retirer et on avait presque atteint la chapelle en la hissant, lorsque des femmes, voulant aider les travailleurs, se mirent aussi à tirer sur les câbles. Mais, dans un accès de rire, elles lâchèrent prise tout à coup, et la cloche, de nouveau, roula dans le gouffre, où elle disparut à tout jamais.
Maintenant, la chapelle solitaire ne protège plus les tombeaux qui l'entourent. Le campanile ouvre deux orbites vides sur des sépultures abandonnées. Çà et là, parmi les ronces agressives et les orties, gisent les dalles funéraires rongées par le lichen. De grandes croix héraldiques rappellent seules les nobles funérailles d'antan.
L'écusson rouge des Lentilhac ensanglante encore les murs de la chapelle. C'est l'écusson des ruines :on le retrouve dans les restes d'une salle du vieux château de Gimel et dans une chapelle de l'église du bourg. Ecusson rouge, ardente image, fleur d'amour ou fleur de haine, éclose peut-être dans le charnier fumant des batailles et dont les longs jours écoulés n'ont pu flétrir la funèbre splendeur.
Sous la Terreur, les sépultures du promontoire furent profanées. Arrachés de leurs tombeaux, les ossements de ceux qui reposaient depuis des siècles sous le campanile solitaire blanchirent sous le vent, le soleil et les averses.
Braguse, depuis lors, inspira l'effroi aux descendants des profanateurs. Le soir, ils ne s'y aventurent guère, redoutant les fantômes vengeurs qui le peuplent. Car ils ont entendu des plaintes étouffées s'élever du torrent, ils ont vu des prunelles vitreuses darder dans les obscures profondeurs...
Les pêcheurs et les pâtres savent que, dès le crépuscule et jusqu'au petit jour, le vont soupire et chuchote les prières des agonisants, que l'eau sanglote à travers les pierres...