Là où se trouve aujourd’hui la Piazza dei Tre Re s’élevait jadis un très ancien palais, dans lequel vivait un jeune homme instruit, bon et sage, mais extrêmement pauvre, car toutes ses ressources provenaient de la location de quelques chambres du palais et de quelques leçons qu’il donnait ; et pourtant, malgré cela, il était si charitable qu’il pensait bien plus aux pauvres qu’à lui-même. Oui, s’il n’avait qu’une lira, il n’en dépensait qu’un tiers pour lui, et il ne pouvait réellement dormir en paix qu’après avoir invité quelque malheureux à passer la nuit dans son palais, où il donnait à son hôte ce qu’il pouvait en nourriture.
Et il eût depuis longtemps vendu le palais, ne fût-ce que pour avoir de quoi faire davantage de bien, si ses parents, qui l’avaient élevé dans les voies de la bienfaisance et de l’humilité, ne lui avaient dit en mourant : “Ne te défais jamais de ta maison, quoi qu’il arrive ; car l’argent se dépense vite, mais tant que tu as la demeure, tu y as un abri pour les pauvres.”
Il était si voué à cette bonne œuvre que, si personne ne venait demander secours, il se postait toujours à une fenêtre donnant sur la rue et attendait jusqu’à minuit pour voir si quelqu’un passait qu’il pût aider. Et il advint qu’un soir, tandis qu’il veillait ainsi, passèrent trois très vieux hommes, infirmes, apparemment pauvres, qui s’arrêtèrent sous la fenêtre, jusqu’à ce que l’un d’eux dit :
“Mais où donc trouverons-nous gîte, cette nuit, puisqu’il est si tard et que nous ne connaissons personne dans toute la ville, et que nous sommes trop las pour aller plus loin ?”
Alors le jeune homme, tout joyeux, s’écria : “Entrez ; soyez les bienvenus : j’attendais justement de tels hôtes.” Lorsqu’ils furent entrés, il les traita de son mieux, ne leur offrant, il est vrai, que du pain, du fromage et du vin pour souper, mais en leur expliquant la raison de sa vie frugale, afin d’avoir de quoi partager ses humbles repas avec les pauvres. Ils lui posèrent alors maintes questions sur sa vie et ses moyens, et ne tardèrent pas, en sages qu’ils étaient, à découvrir qu’il était entièrement dévoué à l’unique idée de faire le bien.
Au matin, avant de partir, l’un d’eux parla au jeune homme et dit :
“Ce n’est ni pour une nuit d’hospitalité ni pour l’aumône que nous sommes venus ici, ô jeune homme ! Mais, ayant entendu jusque par les anges mêmes tes louanges, et comment tu passes toute ta vie à faire le bien aussi silencieusement et modestement qu’il se peut à un homme sans vanité, nous sommes venus vérifier la chose par nous-mêmes, et trouvons que tout est vrai. Sache que nous sommes les trois rois Gaspard, Balthazar et Melchior, porteurs de présents, et que chacun de nous t’en fera un.”
Alors Gaspard (Gasparro) lui donna un gros bloc d’encens, et Balthazar une livre de myrrhe, et Melchior une vieille pièce d’or de couronne.
“Chaque jour tu pourras prendre de cet encens une moitié et la vendre, mais le lendemain matin il y en aura de nouveau une livre comme auparavant. Et tu pourras prendre la moitié de la myrrhe, et toujours en avoir la même quantité. De même, tu trouveras auprès de la pièce d’or une autre semblable, une chaque jour. Reçois ceci avec notre bénédiction, et puisse ta vie être aussi heureuse que tu as tâché de rendre celle des autres !”
Sur ces mots, ils disparurent, laissant leurs dons, qui se révélèrent en effet productifs et profitables, si bien que, bien que le jeune homme, jusqu’à la fin d’une très longue vie, continuât de donner les deux tiers de ses revenus en charité, il mourut riche autant qu’aimé. Et c’est ainsi que la Place des Trois Rois reçut son nom.


