La légende des roses de la Diavolina de Florence [Firenze / Città Metropolitana di Firenze / Italie]

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Publié le 7 octobre 2025 Thématiques:

Les roses de la Diavolina de Florence
Les roses de la Diavolina de Florence. Source OpenAI
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Source: Leland, Charles Godfrey / Legends of Florence: Collected from the People, Volume 2 (1896) (5 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Via del Fiore / Firenze / Città Metropolitana di Firenze / Italie

LA VIA DEL FIORE

Il y avait autrefois dans [la Via del Fiore] une femme que tous ceux qui la connaissaient appelaient La Diavolina, la Diablesse, parce qu’elle se querellait nuit et jour avec tout le monde — hommes, femmes, enfants — et la cause de tout cela était qu’elle avait une fille.

Cette jeune fille eût volontiers été belle, mais elle était, de nature, très laide — si laide que tous ceux qui la voyaient la scansevano, se reculaient avec répugnance. Et quand la pauvre enfant voyait que d’autres étaient conviées aux danses et à toutes sortes de fêtes tandis qu’on l’oubliait, et que les autres filles avaient des amoureux et qu’elle n’en avait point, elle devint accablée, et dit à sa mère : “Pourquoi ne m’as-tu pas laissé mourir quand j’étais bébé, puisque tu voyais que j’étais si laide ? Toi, tu es belle, mais moi je n’aurai jamais de mari.”

Or, quand une femme est très belle et a pourtant un caractère de vrai démon, et qu’en plus elle a un enfant laid, un peu de sorcellerie n’est jamais loin ; et La Diavolina, qui savait fort bien pour quelle cause son enfant était affligée d’une telle laideur — comme il arrive souvent aux enfants des sorcières — voyant sa fille dépérir de chagrin, fut saisie d’une telle rage et d’un tel dépit qu’elle résolut de se venger de toutes les filles et de tous les jeunes gens qui rendaient la jeune fille si malheureuse.

Ayant un petit jardin, elle y planta un beau rosier qu’elle enchanta (lo amaliò), et l’incantation était telle que les roses exhalaient un parfum merveilleusement puissant et délicieux au-delà de toute croyance ; mais si une fille en respirait l’odeur, elle ne manquerait pas de se brouiller avec son amoureux, et si c’était un jeune homme, il en irait de même avec son inamorata.

C’était une nuit de Carnaval que La Diavolina planta le rosier, et le lendemain matin il était tout en fleurs, les plus belles, répandant un tel parfum qu’il fut remarqué par tout le voisinage ; certains finirent même par voir la plante depuis leurs fenêtres. Et tous devinrent fous d’obtenir une rose ; mais ils avaient soit peur de La Diavolina, soit de l’aversion à parler à sa fille, qu’ils avaient si mal traitée ; ils résolurent donc d’adopter ce qu’on tient généralement pour la voie la plus aisée et la meilleur marché : voler. Et, se souvenant du proverbe qu’il est difficile — rubare l’uovo sotto la gallina — « de dérober l’œuf sous la poule », ils attendirent que la poule eût quitté son nid, c’est-à-dire que La Diavolina fût sortie de la maison.

Mais, il diavolo è sottile, e fila grosso — « le diable est subtil mais file gros », c’est-à-dire très madré quand il se montre généreux — et une Diavolina ne l’est pas moins ; la sorcière avait tout prévu et laissa la porte du jardin grande ouverte afin qu’ils pussent entrer voler à loisir, ce qu’ils firent, glissant comme des chats dans une laiterie, et ressortant en embaumant comme des échoppes ambulantes de parfumeurs, des roses cachées dans leurs corsages — ben celate ! — et la maledizione addosso — « la malédiction sur le dos », à leur suite. Car il devait y avoir bal le soir même, et chacun voulait une rose pour soi ou pour sa belle, et certains pour les deux.

Or, une autre magie était à l’œuvre, et la voilà : le sortilège de jalousie, de haine et de mauvais caractère ayant été ôté à la laide enfant, sa mère put agir sur elle de manière à lui donner un certain charme, puis la beauté ; car, par la sorcellerie, on peut tout ensorceler si l’on a d’abord fasciné la personne. Et cela advint ainsi :

Tous les garçons et filles de la Via del Fiore qui avaient volé des roses ne firent plus que se disputer, se narguer, se railler, ricaner, jurer et se chamailler — comme une bouteille pleine de scorpions noirs — de plus mauvaise humeur qu’une troupe de diables dans un bénitier ; si bien que les sourires devinrent aussi rares parmi eux que les mouches blanches, et les mines renfrognées aussi communes que les noires. Alors, par une parenté de dispositions chagrines, tous eurent l’idée de confier leur fiel et leurs secrets querelleurs à la fille laide, qui s’appelait Rosina ; et celle-ci, découvrant qu’avoir un amoureux, c’était avoir un ennemi acharné, et qu’être une beauté ne valait pas mieux qu’être une bête, se sentit merveilleusement consolée, et se mit à sourire, à être heureuse, et à devenir jolie — car il n’est pas au monde de moyen plus facile d’obtenir une chose que de n’en plus vouloir. Ainsi, dit-on, lorsque Pietro n’eut plus besoin d’argent, le lendemain sa tante mourut et lui laissa une fortune.

Puis il y eut un autre bal, et — comme dit le proverbe — guerra cominciata, l’inferno scatenato : « guerre commencée, enfer déchaîné ». Tous les jeunes de la Via del Fiore se querellèrent dix fois pis qu’avant, tandis que ceux des autres rues gardaient leur mesure, faisaient l’amour gentiment, et se demandaient quel diable avait bien pu prendre leurs amis — si bien qu’au bout du compte, le parti tout entier de ceux qui portaient des roses fut mis à l’index.

Mais la mère de l’une des jeunes filles de la Via del Fiore, femme très observatrice, qui savait « combien de pains il faut pour faire trois » (autrement dit : qui ne se laissait pas conter), remarqua que les roses merveilleuses qui ne fanaient jamais, si longtemps qu’on les gardât, et dont le parfum délicieux se répandait aussi loin qu’une jeune fille peut apercevoir une belle robe sur une autre (c’est-à-dire à un mille par beau temps), se trouvaient à la boutonnière de tous ceux qui étaient de si méchante humeur, et que chacun commença à appeler les indiavolate, « les endiablées » ; ce qui lui fit penser à La Diavolina. Y songeant, elle huma l’une de ces roses, et aussitôt se sentit poussée à traiter sa fille de sfacciatella infama e civetta del diavolo, e da più una cagnetta, mots qui signifient en bref : « éhontée petite grue du diable » ; à quoi la fille répondit promptement en informant sa génitrice qu’elle était une brutta vecchiaccia, une vieille balai, une immonde vieille vache, et autres douceurs — tout un vocabulaire plus évocateur du Mercato Vecchio que du commandement d’honorer ses parents. Alors la mère vit clair, et « prit la mesure de l’affaire avec une cuiller », comme disent les Romagnols ; car, avant que ces roses n’entrassent en scène, la damoiselle avait été un modèle de modestie et d’amour.

Cette mère persuada donc tranquillement les jeunes d’aller au bal sans leurs roses, ce qu’ils firent ; et ce soir-là, tout alla uni et lisse comme un étang au soleil quand pas un souffle ne ride la surface — et pas même un canard. D’où une furie contre La Diavolina ; et ce fut pis encore parce qu’on ne pouvait plus traiter sa fille de laide, car, par ce sortilège, elle était devenue la plus belle de tout le quartier, et il advint qu’elle fit refluer sur eux le fleuve où ils eussent voulu la noyer. Car, l’ayant accusée de sorcellerie devant le tribunal, La Diavolina répondit que c’était absurde : premièrement, qu’il ne leur était rien arrivé ; secondement, qu’elle ne leur avait rien donné ; et que si l’odeur des roses les avait fait se quereller, elle n’y était pour rien, puisqu’ils avaient fracturé son jardin et volé ses fleurs, très contre sa volonté. Car — plaida-t-elle, en vieille légiste — « Pour faire un pudding, il faut trois choses : volere, potere e sapere — vouloir, pouvoir et savoir faire ; et puisqu’il était hors de doute qu’elle n’avait montré aucune volonté de “faire ce pudding”, toute la cuisine ne lui incombait pas. »

Ainsi La Diavolina fut acquittée ; sa fille épousa un bel giovane del tribunale — un beau jeune homme du tribunal ; et la voilà heureuse et riche : bonne fortune qui fut un chagrin sans fin et une cruelle affliction pour toutes les autres chères filles de sa connaissance, qui regrettèrent amèrement de l’avoir traînée en justice, puisque cela n’avait abouti qu’à la faire courtiser… heureusement. »


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