Le bon Prieur de Maisoncelles-la-Jourdan n'était point riche en biens terrestres; en revanche, il était doué des vertus qui procurent dans l'autre monde d'éternelles jouissances aux élus du Seigneur. Il était doux, humble, bon aux pauvres. Ajoutons qu'il était très fin, et quelque peu.... braconnier. Lorsque la table du prieuré chômait et qu'une réunion de confrères était proche, le bon prieur ne se gênait pas pour aller tendre des collets dans le bois de Maisoncelles-la-Jourdan afin d'alimenter le garde-manger. Ce ne devait pas être un bien gros péché de prendre quelque lièvre ou lapin. Cependant, quoi qu'il usât de grandes précautions pour ne point être aperçu, le bon prieur avait été vu de loin par les gardes des seigneurs de Maisoncelles dont la légende ne révèle point le nom, et ceux-ci ne demandaient qu'à surprendre le moine en flagrant délit. Cela ne tarda pas. Une veille de conférences mensuelles au prieuré, le moine dont le garde manger s'était vidé par suite d'aumônes abondantes, alla placer quelques collets dans le bois seigneurial. Mal lui en prit, car deux gardes aux aguets le saisirent et le conduisirent devant le seigneur châtelain.
Celui-ci détestait fort le prieur; on ne dit pour quelle cause. Aussi fut-il enchanté de l'occasion qui se présentait. Saisissant un chapon qui se trouvait dans la cour du château, il le tendit à l'infortuné braconnier et lui dit : Traite ce poulet comme tu voudras être traité; car je jure que je ferai sur toi ce que tu feras sur lui!
– Le jurez-vous sérieusement? riposta le Prieur.
– Oui, je le jure!
Alors, le Prieur saisit le coq et lui enfonça dans le derrière le doigt indicateur jusqu'à la troisième phalange, puis le retirant, se le mit dans la bouche, en disant à son seigneur :
– A votre tour, vous m'avez vu ?
Le seigneur de Maisoncelles-la-Jourdan ne peut s'empêcher de rire malgré la fureur dont il était animé et laissa aller le Prieur qui emporta le cog pour se dédommager de ne point avoir pris de lièvre.