La querelle du chantre et du custos du Mesnil-Benoîst [Bayeux, Noues de Sienne (Calvados)]

Publié le 21 avril 2024 Thématiques: Animal , Argent , Cheval , Dispute , Evèque , Humour , Latin , Pari ,

Eglise du Mesnil-Benoist
Eglise du Mesnil-Benoist. Source S. Plaine, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Brunet, Victor / La Tradition (1888) (2 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Cathédrale de Bayeux / Bayeux / Calvados / France
Lieu: Eglise du Mesnil-Benoist / Noues de Sienne / Calvados / France

Il y avait une fois, à Mesnil-Benoît, un vieux chantre qui, d'après la croyance publique, était très-fort sur le latin. Le custos croyait être aussi fort que le chantre; aussi ces deux vieux débris, qui auraient mieux fait d'essuyer leurs lunettes et de laisser couler l'eau sous le pont aux ânes, se livraient-ils fréquemment à des discussions des plus bachiques.

Un jour, après boire, la querelle monta de plus belle. Le custos fit une grande découverte. Il s'aperçut, en effet, que la latinité du premier vers de la prose de la messe de la Pentecôte était défectueuse, et il fit part de son appréciation au chantre. Celui-ci prit un diurnal, lut le vers et soutint que tous les mots étaient bons. Une discussion des plus violentes s'en suivit; grande colère du custos; grande colère du chantre.

Le custos prétendait que l'imprimeur était un âne. On ne pouvait, en effet, dire: Vexilla regis prodeunt ; ce prodeunt était absurde; il fallait lire pro Deum!

Le chantre affirmait de son côté que pro Deum n'était point latin, et que l'imprimeur était dans le vrai.

Le débat dura plusieurs jours; le custos et le chantre ne voulaient point s'entendre. Ne pouvant trancher la question, le custos proposa de soumettre le cas à M. le curé.
« Allons donc, dit le chantre, vous savez bien que notre curé ne sait pas un traître mot de latin, il serait plus embarrassé que nous qui avons de l'expérience!»

La servante du curé, dame Olive, qui entendit la discussion, fut de l'avis du chantre; elle donna le conseil aux deux adversaires de consulter le grand doyen; mais le custos et le chantre refusèrent, voulant une décision en dernier ressort.

« Au fait, dit le custos, si nous allions trouver l'Evêque de Bayeux ! Il est savant et nous dira la vérité !
– Parfaitement, opina le chantre. Je tiens cinquante écus pour prodeunt.
– Je tiens cinquante écus pour pro Deum, dit le custos. »

Les préparatifs du voyage furent de courte durée; nos deux latinistes partirent à cheval de grand matin et arrivèrent à Bayeux le soir même. Ils demandèrent à voir sur le champ l'Evêque pour une affaire grave.

L'Evêque de Bayeux ordonna de les introduire dans son cabinet. Le custos porta la parole et promit, tant en son nom qu'au nom de son adversaire, de s'en tenir au jugement de l'Evêque.

L'Evêque de Bayeux, qui n'était pas un sot, demanda quelques détails à ses ouailles sur le voyage. Ceux-ci répondirent qu'ils avaient parié chacun cinquante écus et qu'ils étaient venus à cheval.
«Très bien, mes amis, dit l'Evêque; asseyez-vous et placez vos enjeux sur la table. »

Les deux badauds s'exécutèrent et attendirent avec une certaine anxiété les paroles du prélat.
Celui-ci leur dit :
« Mes amis, écoutez bien. Voici comment la première strophe du Vexilla regis doit se chanter:
Vexilla regis « prodeunt,»
Les cent écus à moi seront,
Les deux chevaux m'appartiendront,
Et les ânes, à pied, s'en iront. »

Ce disant, l'Evêque ramassa les cent écus et montra la porte au custos et au chantre qui s'en allèrent bien penauds.


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