A en croire la plus ancienne des légendes, l'emplacement de la cathédrale a été de tout temps un lieu saint et vénéré. Dans une haute antiquité, il y avait là un bocage dédié au dieu de la guerre (Kruzmann ou Kriegsmann), car les tribus germaines célébraient leur culte sous les ombrages touffus des forêts primitives que jamais la hache n'avait frappées. Là habitait la divinité, invisible à l'œil des mortels, ne révélant sa présence que par le bruissement des arbres, le bouillonnement des torrents et le scintillement des étoiles.
Dans le bocage sacré, non loin des rives de l'Ill, s'élevaient trois hêtres (Buchen) gigantesques. C'est là que les Triboques, qui ont emprunté leur nom à ces trois hêtres (Tri-Bucher), pratiquaient le culte du dieu de la guerre. Les tribus accouraient des environs pour offrir les sacrifices. Le prêtre, vêtu de blanc, le gui sacré à la main, se tenait devant l'autel de pierre, invoquant les faveurs divines... Alors on entendait un bruit léger courant à travers les branches, grandissant sans cesse, éclatant enfin comme une tempête, et la foule tremblante se prosternait contre terre pour laisser passer le souffle des puissances célestes.
Mais les événements se succèdent et les destinées s'accomplissent. Le paganisme germain céda la place au paganisme romain. La hache abattit les trois hêtres et à leur place fut édifié un temple dédié à Mars, dieu de la guerre. Puis, à son tour, le temple romain fut remplacé par une église chrétienne, placée sous l'invocation de la Vierge Marie.
C'est un fait constant dans l'histoire que toute religion nouvelle cherche à s'établir là où le dogme ancien pratiquait les exercices de son culte. Les populations ont des habitudes qu'il faut transformer tout en les respectant. C'est ainsi que les Romains ont érigé leurs temples dans les endroits consacrés aux rites germain et gaulois, et quand est venu le christianisme, lui aussi a édifié ses églises là où étaient adorés les dieux de l'Olympe. La transmission d'un culte ancien à un culte nouveau était de la sorte facilitée sans blesser d'antiques usages. Saint Augustin disait avec raison qu'on ne devait pas raser les bocages sacrés, briser les images des dieux, détruire les temples, mais qu'il fallait s'appliquer à faire mieux en les consacrant à Jésus-Christ. Il arrivera un jour où les églises d'aujourd'hui serviront de salles de conférences pour faire connaitre les merveilles de la science et enseigner les devoirs de la fraternité humaine!