À l'entrée de Rethel s'élève une petite colline que l'on appelle « la Crête-des-Loups. » Voici, d'après la légende, d'où lui vient ce nom :
A cet endroit, au lieu même où le chemin aboutissant à la porte Saint-Nicolas vient rejoindre la route, aujourd'hui Nationale, alors que l'ancienne cité de Mazarin était encore une place forte et que des bastions, des remparts l'entouraient de leurs enceintes, s'élevait, en 1667, une cabane que l'on eût pu croire inhabitée tant elle paraissait délaissée, misérable. Et pourtant, à la fumée légère qui s'échappait de sa cheminée lézardée, on voyait bien que des êtres vivants y trouvaient un refuge contre les ardeurs de l'été et les frimas de l'hiver.
C'était là, en effet, qu'habitaient François Tridon, le braconnier, et Marthe Brichet qu'il avait épousée par amour, unissant, ainsi, la pauvreté à la misère : le mari n'ayant eu pour unique héritage que cette bicoque et la femme n'ayant pu apporter au ménage que ses deux bras toujours prêts à travailler.
François, grand et robuste gaillard, dans toute la force de ses trente ans, était un chasseur intrépide, renommé pour la sûreté de son tir. Marcheur infatigable, toujours à travers champs ou dans les forêts, il savait, à coup sûr, où trouver un lièvre au gîte, dans quelle bauge dormait un sanglier, dans quels halliers se cachait un cerf, et rarement, le soir, il revenait sans sa proie. Aussi, pouvaient-ils vivre tant bien que mal.
Mais il arriva que l'hiver de 1667 fut tout particulièrement rigoureux. Un soir de novembre, la neige tomba épaisse, le lendemain elle tombait encore, aussi le surlendemain, et pendant plus d'un long mois elle ne cessa de tomber. La misère, alors, entra dans la cabane : pas de lièvre, pas de sanglier, pas de cerf à tuer, à porter au marché ; par contre, pas d'argent en retour.
Il fallut bien, cependant, pour manger, se décider à se mettre en chasse, et la faim, qui pousse le loup hors du bois, poussa le braconnier hors de sa cabane. Un matin donc et bien qu'il neigeât toujours, Tridon prend son fusil, embrasse sa femme, siffle sou chien et sort. Mais, à peine arrive-t-il à l'orée de la forêt qu'il est entouré de loups affamés. Il fait feu, croyant ainsi les mettre en fuite. Mais, plus acharnés, se jettent sur Tridon ces loups affamés.
Heureusement que Marthe, à travers les détonations, a entendu les appels de son mari. Elle s'est armée d'un fusil, accourt, fait, elle aussi, le coup de feu, et les loups battent en retraite. Tous deux, alors, n'ayant plus de poudre, n'ayant plus de plomb, ils reviennent à la cabane dont la porte est restée ouverte. Là, pour se mettre à l'abri du froid, de la neige, se sont réfugiés d'autres loups qui se jettent, dès qu'ils les voient rentrer, sur Tridon et sur Marthe. Assaillis, ils ne peuvent faire feu. De la crosse de leurs fusils, ils cherchent à les assommer, et ce fut alors une mêlée horrible dans laquelle, épuisés, perdant le sang par leurs cruelles blessures, succombèrent le braconnier et sa femme, qui servirent de pâture aux loups.
Et c'est en souvenir de ce terrible drame que, depuis cette époque, cet endroit s'est appelé « la Crête-des-Loups. »