[...] si jamais héroïne fut digne de quelque intérêt, c'est bien sans contredit celle dont je vous vais parler.
Blondinette – ainsi s'appelait-elle – était, de l'aveu de tous, la plus gente fille de tous les alentours. Rien de plus suave que sa délicieuse figurine entourée d'une gaze de cheveux blonds. Rien de plus beau que ses grands yeux bleus frangés de soyeux cils d'or. Rien de plus souple que sa taille de guêpe à laquelle ses deux petites mains eussent pu servir de ceinture.
Et toutes ses compagnes le savaient bien et pas une pourtant n'en était jalouse; car sa bonté et sa douceur faisaient oublier sa beauté..
Un soir que, le sourire aux lèvres et la joie au cœur, la belle enfant revenait chez elle, les bras chargés de grosses gerbes de fleurs qu'elle venait d'amasser, un jeune poête, nouvellement arrivé dans le pays, l'aperçut et la trouva si blanche et si proprette qu'il résolut d'en être aimé. Et ses grands yeux bleus, pleins d'intelligence et de mélancolie, s'éclairèrent d'une flamme d'amour et la jeune fille l'aima. Et quand venait la brune, assise sur la mousse du roc, elle attendait son aimé et tous deux réunis à la pâle lueur des étoiles qui brillaient au manteau de la nuit, la main dans la main, épaule contre épaule, rêvant ivresse et volupté, devisaient d'amour.
Pour eux chaque heure s'envolait insensible, sur les ailes de cette indicible volupté qu'éprouvent deux âmes sœurs à n'avoir qu'une seule pensée, à respirer le même parfum, à saisir la même harmonie, le même bruissement dans la feuillée, le même murmure dans le ruisseau. Jamais n'avait été passion plus pure et plus innocente que celle de la pauvre enfant.....
Une nuit pourtant que le dernier tintement de l'Angelus palpitait encore, que les feux rougeâtres du soleil couchant s'éteignaient au ciel, que la fleur sans nom penchait étiolée sur sa tige, le sable des chemins craqua sous un pas furtif.
Pendant ce temps tout reposait silencieux dans la vallée; la lune argentait le paysage de ses feux livides; le rossignol préludait sa mélodie du soir et la nature entière semblait se reposer des fatigues du jour.
Un rayon incertain en perçant les nuages découvrit une jeune femme. Son visage, qui paraissait beau, portait je ne sais quelle empreinte de suave mélancolie. Son œil inquiet semblait vouloir interroger le vide, percer l'obscurité; sa main blanchette caressait doucement une petite fleur du pays que ses compagnes ont surnommée depuis Fleur d'amour.
Jeunes lectrices, surtout gardez-vous bien de la cueillir!
Elle écouta longtemps le crépitement de la rosée, le bruissement des feuilles qui tombaient lentes et desséchées, puis tout à coup sa respiration devint plus brève, plus haletante; sa tête alourdie par le poids d'une accablante pensée s'inclina faiblement; un long soupir gémit dans sa poitrine : « Il ne viendra point,» dit-elle!
Un bruit de pas se fit pourtant derrière les rochers: – Raoul, mon Raoul, est-ce toi? murmurat-elle tout bas. Oh! que tu as tardé !
– Ma mère me retenait!
– Ta mère? et pourquoi donc? vas-tu déjà retourner à Paris?
– Hélas! oui, la fatalité m'y contraint!
Et Blondinette essuya bien vite une larme furtive qui roulait dans sa paupière, et de ses lèvres humides s'échappa doucettement un murmure de deuil qui venait de sa pauvre âme.
– Oh! tu vas m'oublier, mon Raoul! Dis-moi, m'aimeras-tu toujours?
– Oui, toujours! répondit le jeune homme séduit par les irrésistibles fascinations de ce céleste visage qui lui versait, comme une rosée irritante, ses sourires et ses pleurs de joie. Toujours!
Et les échos heureux en frémirent d'une joie sympathique.
Quand enfin il se fallut quitter, un long et doux baiser scella leur triste adieu sur leurs bouches amies.....
Depuis ce jour, la pauvre enfant s'en fut chaque soir, rèveuse et pâle, s'asseoir sous les grands saules dont chaque feuille en se heurtant contre sa compagne semblait redire tout bas le nom de son amant chéri.
Pour elle plus de joies, plus de plaisirs folâtres! Triste et chancelante elle se promenait dans l'ombre, pâle comme un clair de lune, légère comme un génie de la nuit. La tête perdue, dévorée par la fièvre elle s'efforçait de trouver dans l'air le souffle qui devait éteindre la flamme qu'elle portait dans son sein; mais l'air n'exhalait pas cette brise salutaire. Bien au contraire plus elle allait plus la blessure de son cœur s'élargissait, plus elle apprenait, la pauvrette, à connaître tout ce qu'il y a d'amer à ne plus voir celui qu'on aime, à n'avoir plus de lui qu'un souvenir qui s'enfuit comme une ombre devant votre pensée vagabonde; plus elle se désolait de ne point avoir le bien-aimé de son cœur à ses côtés, au sein de cette nature parée des trésors de la terre et du ciel. Il lui semblait qu'une voix mystérieuse lui parlât dans le silence: une flamme intérieure la brûlait, de vagues désirs l'assiégeaient et le passé se dressait, devant chacun de ses pas, sous les traits de son adoré. Jamais elle n'avait aussi bien su combien il lui était cher, que depuis qu'il était ravi à ses caresses. Involontairement elle le cherchait dans les retraites les plus solitaires, elle l'appelait, elle lui tendait les bras, suppliant Dieu de le lui rendre, et demandant au vent qui agitait le feuillage de lui apporter un son de sa voix, aux nues voyageuses de lui parler de lui, aux hirondelles qui volaient dans l'espace, d'aller lui dire sa tristesse et son abandon: inutiles prières! rien autour d'elle ne semblait partager l'agitation passionnée de son âme, et comme toujours son cœur devenait d'autant plus captif qu'il se révoltait contre le joug et s'efforçait de secouer son esclavage.
Enfin quand revint le mois de mai, quand la campagne se diapra de nouveau de sa mosaïque de fleurs nuancées, quand les grands arbres revêtirent leur parure d'été, quand la fleur d'amour reverdit, Blondinette l'alla cueillir et la cacha discrètement comme une confidente bien-aimée entre deux frais boutons de rose, d'un éclat plus vif encore et que j'eusse de beaucoup préféré pour ma part. – Sans vous connaître, vertueux lecteur, je parierais bien que vous pensez de même. Mais passons.
Bientôt, pensait-elle, mon Raoul reviendra, et son âme confiante s'endormait dans les illusions de l'espérance.
Chaque fois que le vent soulevait au loin des tourbillons de poussière, c'était pour elle le pas des chevaux de son bien-aimé et son petit cœur battait bien fort dans sa jeune poitrine.
Un soir de novembre enfin que la flamme tout hérissée de sinistres langues de feu, semblait happer avec bonheur la suie de la cheminée; que le rouet des bonnes vieilles et la langue des jeunes filles babillaient à qui mieux mieux; que quatre ou cinq vieux paysans, assis en cercle, pipe à la bouche, berret sur l'oreille, jambes et bras croisés, s'entretenaient gravement du maire et du curé de la commune; que quelques jeunes gens enfin, entre nombreuses parenthèses d'œillades et de baisers, racontaient des histoires à donner le frisson, des histoires sombres comme l'enfer et longues comme une nuit d'insomnie.
Tout à coup un homme entra... – c'était le facteur... il apportait une lettre de Paris... Blondinette, la saisit en tremblant, car elle était cachetée de noir... elle l'ouvrit avec résignation...
Son ami, son frère, l'unique objet de ses pensées, son Raoul adoré venait de mourir sans l'avoir à son chevet pour lui fermer les yeux !...
L'imagination de feu du jeune poête avait fini par faire éclater le vaste foyer de son intelligence, et en quelques jours seulement une fièvre brûlante avait fait un cadavre de ce qui était cette force, de ce qui était cette vie, cette jeunesse...
En lisant ces lignes, Blondinette sentit une sueur froide glisser sur son front de vierge. L'ange de la mort la toucha du bout de son aile glacée et ses lèvres crispées murmurèrent tout bas, tout bas: « Je n'ai plus qu'à mourir ! »
Le soir, en effet, à l'heure où les hiboux entonnent leurs lugubres concerts, le promeneur attardé sur les rives du Gave eût pu entendre le bruit d'un corps qui tombait à l'eau, et quelques heures plus tard, quand l'astre des nuits en argenta les ondes moirées, voir une blanche poitrine trembler à leur surface.....
C'était celle de Blondinette!