La ruse du maréchal-ferrant de Tamines [Sambreville (Tamines),(Province de Namur / Belgique)]

Publié le 7 octobre 2023 Thématiques: Âme , Diable , Diable roulé , Enfer , Humour , Maréchal ferrant , Pacte avec le Diable , Paradis , Ruse ,

Le maréchal ferrant et le Diable
Le maréchal ferrant et le Diable. Source Midjourney
ajouter aux favoris Ajouter une alerte en cas de modification augmenter la taille du texte reduire la taille du texte
Source: Collin de Plancy, Jacques Albin Simon / Légendes infernales: relations et facts des hôtes de l'enfer avec l'espèce humaine (1864) (5 minutes)
Lieu: Tamines / Sambreville (Tamines) / Province de Namur / Belgique

On trouve dans les légendes populaires plusieurs personnages qui font pendant avec Faust, en ce point du moins qu'ils se lient avec le diable au moyen d'un pacte. L'une des plus originales, parmi ces traditions, est celle du maréchal de Tamine, le Faust du pays wallon. Nous la rapportons ici.

Dans ce beau village de Tamine, que baigne la Sambre à quatre lieues de Namur, vivait, il y a un peu plus de trois siècles, peut-être au temps de la jeunesse de Charles-Quint, un maréchal ferrant renommé pour sa bonne humeur. Son atelier florissait; il dormait sans soucis et menait joyeuse vie, lorsqu'un jour, en revenant d'une fête voisine, il trouva sa maison brûlée.

Adieu dès lors l'aisance et la gaieté.

Mais comment cette maison avait-elle été la proie des flammes ? Les uns dirent que c'était un pur accident; ceux-ci un effet de quelque négligence; ceux-là un coup de malveillance sans doute; les autres, plus pénétrants, soutinrent que le diable seul avait fait le mal. C'était, ajoutaient-ils, une épreuve offerte à la patience du maréchal de Tamine, qui avait ainsi l'occasion de se montrer le Job de la contrée.

Le Wallon, qui n'avait pas la vertu du sage Chaldéen, aima mieux, dans sa grossièreté matérielle, être le Faust du pays, moins savant et moins grave que l'Allemand, mais plus malin pourtant et plus habile.

Si le diable veut de moi, dit-il, nous allons voir.

Selon l'usage populaire, qui déjà était bien connu de tout mauvais drôle ayant quelque teinte des sciences de sorcellerie, le maréchal de Tamine s'en alla seul, le soir, hors de son village, s'arrêta dans un carrefour où venaient aboutir quatre chemins; et là, ayant tracé un cercle avec un bâton de coudrier, il se planta au milieu, puis, au son des heures sinistres de minuit, il immola une poule noire, avec les cérémonies voulues. C'était le moyen d'obliger le diable à paraître.

Le diable accourut. Il trouva un homme qui avait la bourse vide, les dents longues, l'esprit inquiet, et qui se montrait disposé à traiter, dit la légende, mais qui ne voulait pas faire un marché de dupe.

Après des pourparlers qui durent être curieux, le Wallon vendit son âme, moyennant trois stipulations spéciales:
1° Qu'il pourrait, pendant le bail qu'il faisait avec le diable, retenir à son gré, sur un grand poirier qui s'élevait devant sa maison, tout imprudent qui se serait avisé d'y monter;
2° Que sa bourse de cuir, une fois fermée, ne s'ouvrirait plus sans sa permission;
3° Que son tablier de cuir aurait désormais cette vertu que jamais aucune puissance ne pourrait l'en détacher, s'il parvenait à s'y asseoir.

Le diable accorda tout; il rebâtit la maison et consentit, selon les clauses du marché, à ne réclamer l'âme du Wallon qu'au bout de dix ans.

Le maréchal de Tamine se reprit donc à mener plus joyeuse vie encore que par le passé, jouissant du présent et s'occupant très-peu de l'avenir. Les dix ans s'écoulèrent ainsi.

Le diable vint alors sommer son homme d'exécuter le contrat.

– Je suis prêt, dit l'autre; et, quoique la journée ne soit pas finie, je ne vous demanderai qu'une légère faveur, celle de manger encore une fois du fruit de mon poirier.

Le diable se montra charmé des dispositions du maréchal; il se prêta de bonne grâce à sa fantaisie et grimpa sur l'arbre, ce qui n'était pas difficile.

Mais il fallait en descendre. Nul ne le pouvait sans la permission du maître; c'était, comme on l'a vu, un des avantages du contrat. Le diable a tant de besogne, qu'il avait oublié cette clause. Cloué sur le poirier, il n'obtint sa liberté que moyennant un sursis de dix ans.

Le temps passa dans cette nouvelle période aussi rapide que la première fois, entraîné par les plaisirs et l'insouciance.

Le diable revint sur le soir du dernier jour.
– Je suis prêt, dit encore le Wallon.
– Marchons donc, répliqua le diable d'un ton sérieux. Il s'était bien promis, cette fois, de ne plus être victime de sa complaisance.

Mais il ne savait pas à qui il avait affaire. Le maréchal de Tamine avait calculé une ressource nouvelle: il prit l'ange déchu par son faible, l'amour propre.
– On raconte, fit-il d'un air bonhomme, que vous êtes très-puissant, et vous m'en avez donné quelques marques; c'est ce qui me rend joyeux de partir avec vous. Mais on me disait tout à l'heure une merveille que je n'ai pas pu croire. Est-il donc vrai que vous ayez le pouvoir de prendre la taille qui vous plaît ? que vous puissiez à l'instant paraître un géant énorme, et aussitôt après devenir le nain le plus exigu?
– C'est très-vrai, dit le diable avec importance, et tu vas le voir.

Pour prouver ce qu'il avançait, il se grandit tellement en quelques secondes, qu'il paraissait avoir trois cents pieds.

– C'est prodigieux! dit le Wallon; c'est superbe! et, je le répète, je suis ravi. Vous êtes plus grand que notre clocher. Ah! c'est beau de s'élever si haut. Mais il doit être bien plus difficile de se faire petit, imperceptible, grand comme le pouce, petit à se loger là dedans.

En disant ces mots, il tenait sa bourse entr'ouverte.

Il n'avait pas achevé, que le diable, étourdi par la vanité, se ramassait dans la forme la plus mignonne et se plongeait dans la bourse. Le maréchal de Tamine en serra les cordons. Tenant de nouveau son créancier, il rentra dans sa forge, mit sa bourse sur l'enclume, et travailla à l'aplatir à grands coups de marteau.

Le diable hurlait. Pour sa délivrance, il accorda un nouveau sursis de dix ans, et s'en alla de mauvaise humeur.

Au bout de cet autre terme, le maréchal de Tamine, sentant qu'il vieillissait, n'attendit pas que le diable à qui il s'était vendu vînt le chercher. Il alla lui-même frapper à la porte de l'enfer. Son diable s'y trouvait de garde; mais dès qu'il le vit, craignant de nouvelles malices, il lui ferma le guichet au nez.

Repoussé de la sorte, le Wallon, qui décidément s'ennuyait ici-bas, s'en alla chercher ailleurs. Nous suivons toujours la légende populaire. En rôdant, il parvint à l'entrée du paradis. Saint Pierre le reconnut pour un homme en commerce avec le diable et lui refusa le passage.

Le maréchal de Tamine ne se rebutait pas d'un premier refus. Il demanda, de l'air le plus humble, qu'on lui permit seulement de regarder un peu, par la porte entr'ouverte, le bonheur des élus.

Saint Pierre, qui est bon, se laissa gagner. Mais le rusé Wallon, jetant dans le paradis son tablier de cuir, se coucha dessus, et l'on ne put l'en arracher.

Sur quoi, les uns vous affirmeront que, malgré les murmures, il obtint, en récompense de son stratagème, une petite place parmi les bienheureux. Mais les traditions mieux informées portent que le tablier fut jeté dehors avec ce qu'il portait, rien d'impur ne pouvant jamais entrer dans le ciel.


Partager cet article sur :