La légende de la croix Saint-Louis de Verrières [Verrières (Orne)]

Publié le 11 avril 2024 Thématiques: Animal , Chasse , Croix , Loup , Mort , Orage , Origine , Prêtre | Curé , Prière , Sorcier , Transformation en animal ,

Croix Saint-Louis
Croix Saint-Louis. Source Google Street View
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Source: Pitard, P. / Légendes et récits percherons (1875) (4 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Croix Saint-Louis / Verrières / Orne / France

L'emplacement de la route de Verrières à Condeau, à 300 mètres environ de la premières de ces communes, était, vers 1558, occupé par quelques cabanes dont les habitants étaient attachés à la culture de la terre.
Parmi eux pourtant, se trouvait un homme du nom de Jean Loup, qui ne se livrait ostensiblement à aucun travail, quoique grand et vigoureux. Il vivait grassement, avait la mine réjouie et ne demandait rien à personne. D'aucuns disaient bien, tout bas, qu'il ne suivait pas toujours le chemin de la probité, mais le plus grand nombre, à défaut de de preuves, se contentaient de le regarder comme un sorcier, ni plus ni moins.

Or, il arriva qu'un jour, le seigneur de Verrières, François de la Noë, eut à se plaindre de lui et voulut le faire battre de verges. Tout sorcier qu'était Jean Loup, ce supplice ne laissa pas que de le contrarier fort, tant à cause des souffrances qui en devaient résulter pour lui, qu'à cause de la tache qu'en pouvait subir sa réputation. Dans l'espoir d'effrayer ses gardiens, car on l'avait bel et bien emmené au château de la Grande-Bruyère pour le fustiger, — il fit devant eux mille contorsions, menaça de les tourmenter toute leur vie, de leur jeter des sorts, etc.; malheureusement et malgré toute son éloquence, il ne put parvenir à les effrayer ni à les attendrir et dut se résigner à passer par les verges.

Le moment du supplice arrivé, Jean Loup fut amené devant la porte du manoir seigneurial et attaché au fatal poteau devant les vassaux rassemblés.
On allait commencer à le fouetter quand le temps, qui menaçait depuis un moment, s'assombrit tout à fait et qu'un violent coup de tonnerre se fit entendre.
A l'aspect de ce bouleversement de la température, la foule crut que le pouvoir du sorcier était plus fort que celui du seigneur et, saisie de crainte, elle crut prudent de déguerpir, ce qui, d'un autre côté, était fort excusable à cause des larges gouttes d'eau qui commençaient à tomber.

La punition de Jean Loup devenant inexécutable ce jour-là, on pensa à le ramener dans la tour du donjon. Ses gardiens se dirigeaient en effet de ce côté quand un coup de tonnerre, plus violent que le premier, sembla ébranler le manoir jusque dans ses fondements; en même temps un vrai déluge s'abattit sur la terre et força ceux qui étaient dehors à chercher promptement un abri.
Profitant de ce sauve-qui-peut général, le sorcier se dégagea habilement des mains de ceux qui le retenaient et gagna rapidement la campagne, où il fut impossible de le poursuivre.

Peu de temps après, les anciens voisins de Jean remarquèrent que la cabane lui servant auparavant d'asile était souvent visitée par un loup de forte taille qui passait et repassait dans le village sans rien dire à personne.
Il est probable qu'il en aurait été toujours ainsi si, un jour, un paysan n'eût eu la malencontreuse idée de chercher à l'assommer. Profitant de ce que l'animal dormait derrière l'ancienne demeure de Jean Loup, le brave homme s'avança doucement et lui asséna, de toutes ses forces, un coup de levier sur les reins.
Ce procédé peu parlementaire eut pour effet de réveiller la bête qui, ne donnant pas à son adversaire le temps de recommencer, sauta dessus et l'étrangla bel et bien, puis s'enfuit dans la profondeur des bois.
Le pauvre homme ainsi occis était malheureusement père d'une nombreuse famille que sa mort plongeait dans la plus profonde misère.

Quand les autres habitants du voisinage apprirent ce qui s'était passé, pas un ne douta que le loup en question ne fut Jean lui-même qui avait voulu revoir son ancienne demeure, et une sorte de panique s'empara d'eux. Néanmoins un certain nombre de ces braves gens résolurent de courir sus à la bête féroce. Ils organisèrent des battues, et pendant plus de quinze jours, ne se donnèrent ni repos ni trêve.

Mais le loup était un rusé compère et les chasseurs eurent beau se donner du mal, ils ne purent parvenir à le tuer, ni même à lui faire abandonner la contrée; au contraire, comme pour les narguer, il venait jusque dans le village et leur enlevait tantôt un mouton, tantôt des volailles ; quelquefois même il étranglait quelques-uns de ceux qui restaient à faire le guet; si bien qu'en désespoir de cause ils demandèrent au curé de Verrières de faire une neuvaine pour obtenir du ciel qu'il les délivre d'une si terrible bête.

Le curé se rendit à leur désir, et une neuvaine fut recommandée.
Pendant qu'elle s'accomplissait la bête ne restait pas inactive. Semblant présager sa fin prochaine, elle se rendait plus redoutable que jamais et il ne se passait pas de jour sans que quelques-uns de ceux qui l'avaient traquée ne périssent étranglés par elle.

Enfin le dernier jour de la neuvaine arriva, c'était le 25 avril 1558, jour de la fête de saint Marc. La procession, partie de Verrières pour faire le tour de la paroisse, allait arriver à l'endroit où avait été la cabane de Jean. Déjà on apercevait ce qui en restait quand, de derrière une maison voisine, s'élança le loup qu'on poursuivait en vain depuis si longtemps et qui, d'un bond, se jeta sur le curé de Verrières et le renversa.

Comme le jour où devait avoir lieu la fustigation de Jean Loup, le temps était sombre et l'air chargé d'électricité.
A la vue de l'action de la vilaine bête, la foule se précipita pour porter secours à son pasteur, mais au même instant une éblouissante clarté traversant l'espace, accompagnée d'un coup de tonnerre sec comme un coup de canon, s'abattit sur le groupe roulant à terre et aveugla un instant les assistants. Quand ils purent se rendre compte de ce qui s'était passé, ils aperçurent, sur le chemin, le cadavre du loup la foudre l'avait tué. Le bon curé, debout près de là, mais non encore remis de l'émotion qu'il venait d'éprouver, contemplait les restes de la terrible bête sans avoir bien conscience de la cause qui avait déterminé sa mort.

Enfin le calme revint dans les esprits et le clergé entonna un cantique d'actions de grâces pour remercier la Providence d'avoir débarrassé le pays de l'animal qui en était le fléau et d'avoir du même coup sauvé la vie de son bien-aimé pasteur.

Pour perpétuer le souvenir de cet heureux événement, une croix fut plantée à l'endroit même où le loup avait été frappé ; elle reçut le nom de croix de Saint-Marc qu'elle porte encore aujourd'hui.


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