La légende de la fée Andaine à Rânes [Rânes (Orne)]

Publié le 24 octobre 2024 Thématiques: Bonne fée , Château , Dame blanche , Demande en mariage , Fée , Lieu hanté , Mariage , Mot interdit , Noblesse , Promesse , Promesse rompue ,

Château de Rânes
Château de Rânes. Source Arnradigue, CC BY-SA 3.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/3.0>, via Wikimedia Commons
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Source: Moricet, Marthe / Récits et contes des veillées normandes (1962) (5 minutes)
Contributeur: Fabien
Lieu: Château de Rânes / Rânes / Orne / France

Le château gothique de Rânes était autrefois très fortifié et environné par la forêt. Il appartenait sous Louis XIV à une famille illustre. Un d'Argouges fut lieutenant général des armées du Roi et colonel général des dragons; un autre d'Argouges fut maréchal de camp; un autre encore fut aussi maréchal de camp. C'est à un des ancêtres de ces seigneurs (nommé dit-on Raoul) que la fée a bien voulu unir son sort.

Un soir d'automne on entendit dans la forêt un bruit de cors, qui se répétait par les échos jusque dans la profondeur du bois, Raoul croyant que c'était une chasse, voulut punir tant de hardiesse. Il monta à cheval et bientôt il eut atteint le cortège, mais quelle fut sa surprise lorsqu'il vit sur des chevaux blancs comme neige, vingt femmes dans la fleur de la beauté, avec des robes de lin d'une blancheur éblouissante et les cheveux épars en longues boucles; elles galopaient sans audace comme sans crainte pour gagner l'épaisseur du bois. Raoul remarqua au milieu d'elles Andaine qui paraissait commander. Il ne sait quel trouble l'agite; cependant il s'avance et près de la fée, surprise, interdit : "Madame dans ces lieux que j'habite qui peut, dit-il, vous attirer ? Daignez honorer mon château de votre présence, et si vous aimez la chasse, je suivrai vos pas".

Andaine répondit : " Beau sire, votre offre me plait, mais ce soir je vais me rendre en certain lieu que j'habite. Dans un an de cette soirée, si mon souvenir n'est pas oublié, vous me retrouverez à la même heure dans le même lieu". Tout à coup, la belle inconnue reprit son chemin. Il parait qu'elle venait, ajoute Mathurin, du village de la Couillardière, commune de Rânes, où l'on voit un ancien camp ou les restes des fossés et des enceintes en terrasses d'un ancien château. A peu de distance se trouve le champ du Combat et le champ du Sang; je connais un fait historique qui a rapport à cette localité. Je vais vous le raconter durant que la fée va faire son voyage.

En 1431, temps où les Anglais occupaient une partie de la Normandie, il se passa un combat singulier à Rânes. Trente Anglais delà garnison d'Argentan, commandés parle maréchal de cette ville, furent rencontrés par autant de Français, qui étaient sortis du château de Saint Ceneri près Alençon. Le combat commença par la lance; ils mirent ensuite pied à terre et combattirent l'épée à la main avec toute la bravoure imaginable. Tous les Anglais furent tués ou forcés de fuir. Les Français chargés de butin rentrèrent à Saint Ceneri, sous la conduite de Guillaume d'Avrilly. C'est sans doute dans le lieu dont nous venons de parler qu'eut lieu cette rencontre. Mais nous avons laissé Raoul seul; revenons à lui.

C'est vainement qu'il a cherché à retrouver la trace de cette beauté, qui a produit sur lui une impression si profonde; il avait remarqué le lieu et il était rentré au château. Depuis ce temps, son cœur est sous le charme de l'amour; il s'en occupe jours et nuits, demandant avec impatience le moment qu'il craignait de ne pas voir arriver. Plus l'instant approche, plus Raoul tremble; enfin le jour est arrivé. Il est sept heures; le cor sonne; Raoul est déjà au rendez-vous. Il apperçoit Andaine et s'abandonne à l'espoir du bonheur. "Je suis à toi, lui dit Andaine ; fidèle ami, je te revois. Je te donne ma main, tu es l'époux que je choisis. Mais je veux, retiens bien mon désir dans ta mémoire, que de la mort, le mot odieux ne sorte jamais de ta bouche, ou je disparaitrais à l'instant même". Raoul éprouva le comble de la félicité et son cœur battit d'amour. Le mariage se fit et Andaine et Raoul furent époux. Deux enfants furent bientôt le doux gage d'une union que l'estime embellit, et que l'amour unit tendrement. Mais, hélas, cette union si douce serait-elle anéantie au moment où on y pense le moins ?.

Sept ans ont fui; sept heures vont sonner. Andaine met tous ses soins à sa toilette pour une fête. Raoul, fatigué d'attendre Andaine qui ne redescend pas, monte chez elle et lui demande ce qui peut la retarder. "Madame, on s'inquiète au salon; s'il fallait prolonger mon sort, je pourrais, sûr de longue attente, vous envoyer chercher la mort !".

La mort ! ...il prononça à peine ce mot qu'il aperçut Andaine s'envolant parla fenêtre avec son miroir, son peigne, ses couronnes. Elle laissa tomber ses couronnes en passant sur la pièce d'eau et elles se changèrent en roseaux, tels qu'on les voit encore aujourd'hui. Andaine, en sortant, poussa un cri plaintif, et les bois furent revêtus d'une lueur épouvantable. Elle reprit la robe solennelle qu'elle portait le premier jour qu'elle vit Raoul, et s'enfuit pour jamais. On voit encore sous la fenêtre l'empreinte de son pied charmant, et les marques de ses jolies mains sont restées gravées sur les côtés. Lorsque la nuit parait, on la rencontre dans la cour du château, sur la place, au Maro, à Mareronde, à la Pommeraie, dans le bois du Filet autres lieux circonvoisins. Sans doute qu'elle vient par ici de temps à autre, en se rendant dans la forêt qui porte son nom et qui se trouve maintenant éloignée du château de plusieurs lieues. On l'entend aussi parfois pousser des cris lamentables, paraissant plaindre encore et son époux et ses enfants. C'est près des pièces d'eau qu'elle fait sa toilette au clair de la lune. Il arriverait malheur à l'imprudent qui porterait sur elle un regard indiscret, car il serait à l'instant puni de sa témérité.

Andaine est bienfaisante. On vous dira à Rânes qu'une pauvre femme étant sortie pour aller chercher de la nourriture à son enfant, trouva à son retour la fée qui prenait dans une écalle de noix de la bouillie qu'elle avait préparée, et qu'elle donnait au petit fanfan. Il s'en formait de nouvelle à mesure qu'elle en prenait, de sorte que la coquille se trouva it toujours pleine. La mère se jeta aux pieds de la fée et lui rendit grâces en son cœur, car dans son trouble elle ne put trouver une autre expression de sa reconnaissance . Bien lui arriva d'avoir remercié la fée ; Andaine lui fit cadeau de la coquille merveilleuse et du don de s'en servir. Elle lui donna encore, avant de la quitter, trois coquilles d'œufs, en lui enseignant la manière d'en faire usage; une servait à préparer de la soupe, l'autre un plat à son choix, la troisième fournissait de la boisson.

Cette femme devint bientôt d'une grande fierté envers ses voisins ; d'ailleurs son imagination ne suffisait plus pour trouver de nouveaux mets et le meilleur cidre n'était plus assez bon pour elle. La fée voyant cette fierté et cette gloutonnerie, se fâcha et retira ses bienfaits.

Andaine avait des coquilles pour chaque chose; de l'une, on voyait sortir à volonté des écus; de l'autre, des louis d'or; de l'autr , un cheval tout équipé pour l'usage qu'on en voulait faire; de l'autre, des habillements et ustensiles de toilette; enfin, je ne finirais pas si je voulais faire connaitre toutes celles dont elle disposait en faveur de ceux qu'elle jugeait dignes de ces bienfaits, mais qu'elle leur retirait lorsqu'ils cessaient de les mériter.

Voilà , dit en terminant Mathurin , un conte puisque vous en désirez un : je souhaite ne vous avoir pas ennuyés.


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