Au commencement de 1778, la métairie de Virlouvet était habitée par un brave homme dont la fille Madeleine venait d'atteindre sa dix-huitième année.
Un jeune cavalier, Jean de Piseux, étant venu un jour faire visite au seigneur de la Mesnière en son château de Puisaye, rencontra Madeleine et fut frappé de sa beauté, que ne pouvaient dissimuler les habits grossiers dont elle était vêtue.
Touchée elle-même par les manières séduisantes du gentilhomme, la jeune fille écouta ses doux propos, et, sans s'en douter, sans calculer la distance qui la séparait de lui, elle laissa entrer dans son cœur une violente passion qui ne tarda pas à troubler son existence si uniforme jusqu'à ce jour.
Jean de Piseux, chose rare à cette époque chez les gens de sa race, était un honnête homme qui ne chercha point à abuser de l'amour qu'il avait inspiré. Ayant lu dans le cœur de l'enfant, il fit tout son possible pour se faire oublier d'elle, ou tout au moins lui faire comprendre qu'en lui adressant quelques compliments son intention n'avait point été de s'en faire aimer.
Peines perdues! Plus le jeune homme mettait de ménagements dans ces expressions moins on paraissait le comprendre; plus il évitait de se trouver sur le chemin de Madeleine et plus elle semblait s'attacher à ses pas.
Pour faire cesser ces obsessions et aussi, disons-le, pour échapper au charme qui commençait à s'emparer de lui et auquel il voulait se soustraire à tout prix, Jean, sollicité aussi par quelques amis et par son humeur aventureuse, résolut de partir pour l'Amérique et d'aller se joindre à cette noblesse française emmenée par Lafayette pour aider Washington à conquérir l'indépendance de sa patrie.
Il partit. Quand son départ fut connu de Madeleine, la pauvrette crut qu'elle allait mourir. Sa bouche ne murmura pas une plainte pourtant; elle renferma dans son cœur son immense douleur, mais elle souffrit tant que sa raison en fut ébranlée. On la vit à quelques jours de là, errer par les champs et les bois, demandant à grands cris qu'on lui rendit son aimé seigneur. Hélas! les échos seuls lui répondaient, et, quand la nuit arrivait, les chouettes ne manquaient pas de venir se poser sur les toits de Virlouvet, et mêler leurs cris lugubres aux soupirs de la pauvre éplorée.
L'année d'après, le bruit se répandit que Jean de Piseux était de retour chez le sire de Puisaye mais si malade qu'il ne pouvait se mouvoir.
A cette nouvelle, l'inconsolable Madeleine ne put se contenir, il semblait même que la raison lui fût revenue. Elle voulut voir celui qu'elle aimait tant... Mais comment parvenir jusqu'à lui ?
Jean, blessé grièvement à la bataille de Montmouth, n'avait pu être guéri en Amérique. Longtemps il avait souffert sur un grabat d'ambulance quand il apprit que Lafayette devait revenir en France demander au roi Louis XVI de nouveaux secours pour continuer la guerre de l'indépendance. L'idée de revoir sa patrie et peut-être aussi le secret espoir de retrouver celle qui avait été la cause principale de son départ, lui firent solliciter son rapatriement. Malgré l'état de faiblesse dans lequel il se trouvait, les médecins, qui le regardaient comme perdu, ne le refusèrent point, voulant lui laisser cette suprême consolation de pouvoir mourir au milieu des siens.
Il s'embarqua donc. La traversée fut heureuse, si heureuse que c'est-à-peine s'il en fut seulement indisposé.
Aussitôt débarqué, il se fit transporter en litière et à petites journées chez son ami le sire de Puisaye, qui mit son manoir à sa disposition et fit tout ce qu'il était possible de faire pour lui procurer quelques soulagements.
Malheureusement, si le voyage par mer lui avait été salutaire, le trajet par terre l'avait épuisé. Trois jours après son arrivée, Jean de Piseux mourut sans avoir revu celle qui l'aimait.
On conduisait sa dépouille mortelle au cimetière, quand, au détour d'un chemin, une femme vêtue de blanc, une couronne de pâquerettes de champs sur la tête, apparut demandant qu'on lui rendit son fiancé pour le conduire à l'autel.
C'était la pauvre folle! On l'emmena et le lugubre convoi continua sa marche.
Quelques jours après, on s'aperçut la disparition de Madeleine. Son père fit faire toutes sortes de recherches qui restèrent sans résultat. Une grande mare se trouvait dans la cour de la métairie, on la vida, mais le corps de la jeune fille n'y était point. On ne la revit plus.
Au cimetière on s'aperçut un matin que la fosse de Jean de Piseux avait été ouverte et que la tête du cadavre avait disparu.
Un soir que le père de Madeleine entrait dans la chambre naguère occupée par sa fille; il ne fut pas peu surpris de trouver sur l'unique table boiteuse de la pièce... une tête de mort.
Effrayé, il courut prévenir le curé de la Mesnière, qui se transporta aussitôt à Virlouvet et ne fut pas moins étonné que le bonhomme. Il fit enlever la tête et conseilla aux gens de la maison de surveiller les abords des bâtiments.
La nuit suivante, ces braves gens virent dans la cour, sur le bord de la mare, une forme blanche qui semblait glisser sur le sol et qui s'éloigna sans qu'on puisse l'atteindre. Au jour, on retrouva le crâne humain sur la table de Madeleine.
On le reporta au cimetière, mais on eut beau l'enfouir et charger la terre qui le recouvrait, la nuit d'après il fut encore rapporté à Virlouvet.
Plusieurs fois, depuis, on tenta de le faire disparaître, mais inutilement, on le retrouva sans cesse soit dans le chambre, soit dans les greniers et toujours son retour coïncida avec l'apparition du fantôme blanc sur le bord de la mare.
Quelque surprenants que ces faits puissent paraitre, il se trouve encore des personnes qui affirment avoir été témoins de ces apparitions à une époque peu éloignée, et se rappellent, disent-elles, jusqu'à la forme du crâne. Pourtant, aujourd'hui, il a complétement disparu et nous ignorons s'il en est de même du fantôme, mais c'est très probable.