La ville de Tlemcen était assiégée depuis longtemps par une grande armée, et les habitants étaient réduits à la dernière extrémité. Ils n'avaient plus de provisions, et la faim et la maladie avaient tué tant de personnes que les vivants étaient très découragés.
Le maire, ou chef, de la ville assembla enfin tous les notables et dit: "Mes amis, nous serons obligés de rendre la ville, nos provisions sont épuisées."
"Non, non!" dit une vieille femme, nommée Aïcha. "Ne rendez pas la ville. Je suis sûre que l'ennemi partira bientôt.
Le prophète Mahomet nous aidera, j'en réponds. Ne rendez pas la ville, faites ce que je vous dis, et je vous promets que la ville sera sauvée."
Les magistrats consentirent, et la vieille femme dit: "Premièrement, il me faut un veau."
"Un veau!" dit le chef. "Il sera impossible de trouver un seul veau dans toute la ville, tous les animaux ont été mangés depuis longtemps."
La vieille Aïcha insista, et après avoir cherché longtemps, on trouva un veau dans la maison d'un vieil avare. Cet homme avait caché ce veau. Il espérait le vendre un jour pour une grande somme d'argent. Le magistrat prit le veau, malgré ses remontrances. "Maintenant," dit la vieille femme, "il me faut du grain !
"Impossible de trouver du grain dans cette misérable ville!" dit le magistrat. Mais la vieille insista tant qu'il envoya chercher dans toutes les maisons. Grain à grain on rassembla enfin une mesure de blé, qu'on apporta en triomphe à la vieille femme. Celle-ci prit le grain, le mouilla pour en augmenter le volume, et le donna à manger au veau.
Quand le magistrat vit ceci il dit: "Oh Aïcha! quelle extravagance! vous donnez ce bon grain à cette pauvre bête quand il y a tant d'hommes, de femmes et d'enfants dans la ville qui meurent de faim!”
La vieille femme dit: "Laissez-moi faire, et je vous promets que l'ennemi abandonnera le siège." Alors elle prit le veau et alla avec lui à la porte de la ville. "Ouvrez la porte!" dit-elle à la sentinelle. La sentinelle refusa, mais bientôt le chef arriva, et lui commanda d'obéir à Aïcha, qui avait promis de sauver la ville.
Quand la porte fut ouverte, Aicha laissa sortir le veau, qui courut dehors et commença à brouter (manger) l'herbe près de la porte. L'ennemi avait entendu du bruit, et une troupe de soldats arriva en toute hâte. Ils virent le veau, et le menèrent en triomphe au camp. "Où avez-vous trouvé ce veau?" demanda le roi. "Près de la porte de la ville; les habitants l'ont laissé sortir pour brouter."
"Ah!" dit le roi, "je croyais que les habitants de Tlemcen souffraient de faim. C'est impossible, car s'ils avaient faim, ils mangeraient ce veau, bien qu'il ne soit pas bien gras."
Les soldats dirent: "Oui, c'est vrai, ils ont évidemment plus de provisions que nous. Il y a longtemps que nous n'avons mangé de veau frais." "Eh bien! dit le roi," tuez cette bête, et vous aurez du veau rôti.” Les soldats tuèrent le veau. Quelle ne fut pas leur surprise de trouver une quantité de bon grain dans l'estomac du veau.
Le roi, en apprenant cette nouvelle, dit: "Si les habitants de Tlemcen ont encore tant de grain qu'ils peuvent en nourrir leurs animaux, nous pourrons rester ici longtemps. Nous mourrons de faim avant eux. Il est inutile de continuer le siège." Le roi donna donc l'ordre de lever le camp, et partit le jour même avec toute son armée.
La ville de Tlemcen était délivrée. Les habitants, heureux et reconnaissants, portèrent la vieille Aïcha en triomphe tout autour de la ville, et ils lui assurèrent une pension, qui lui permit de finir ses jours en paix.